Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2017, écrits par Aleš Kot, dessinés et encrés par André Lima Araújo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran.


En 2020, Ellena Ferrante et Nick sont allongés dans l'herbe, sous la lumière de la Lune, de nuit. Ils parlent de leurs émotions, de se contrôler et de Carl Sagan. Le lendemain, Akio, un génie scientifique évoque l'érosion de la position de pouvoir des États-Unis sur l'échiquier mondial, et la possibilité d'inventer de nouvelles armes qui pourront enrayer cette érosion, devant des militaires haut gradés. Il leur présente un diaporama sur le projet Utopie, expliquant comment tout dans l'existence peut être ramené à de l'information qui peut elle-même être écrite sous forme de code. Il prend comme exemple les ouvrages dont la lecture peut changer une vie. Il indique qu'il est convaincu de la possibilité d'utiliser des langages codés assimilables par l'être humain provoquant d'autres types de transformation de l'intérieur pouvant déclencher l'apparition de capacités assimilables à des superpouvoirs. Il a écrit un tel code qu'il a séparé en trois morceaux. Le Général en charge de la réunion et du suivi de l'avancée des travaux d'Akio lui demande s'il a des preuves tangibles de ce qu'il avance. La réponse étant négative, il lui demande de plutôt se remettre à travailler sur le projet Airstrip One.


Le lendemain, Ellena et Nick se rendent chez leur ami Baldwin. Ils se sont réunis pour tenter de pénétrer dans le système informatique de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency). Ils réussissent mais manquent de se faire détecter parce que Nick était trop absorbé pour se déconnecter à temps. En fait leur intrusion a été détectée par Akio. Après une journée de travail, Elena rentre chez elle rejoindre sa mère cancéreuse. Nick rentre chez lui et mange en silence avec ses parents avant de prendre un bain. Après avoir fait ses exercices matinaux, Baldwin mange seul, puis sort voir le soleil sur le toit. Le Général rend visite à Akio pour se plaindre du manque d'avancée dans ses travaux et confisquer les serveurs contenant les informations relatives au projet Utopie. Le soir les 3 hackers se réunissent pour pirater les serveurs d'une banque et se servir. Leur piratage est lui-même piraté par Akio qui leur transmet les 3 morceaux de code transformatif.


Aleš Kot est un scénariste atypique, capable aussi bien d 'écrire une saison hallucinante et extraordinaire des Secret Avengers (Secret Avengers Volume 1: Let's Have a Problem avec Michael Walsh), que des comics indépendants très ambitieux comme The Surface avec Langdon Foss. Ici, le lecteur se rend rapidement compte qu'il s'agit d'un récit rapide et spectaculaire, dans une veine plutôt facile à lire. Le scénariste met en scène 3 jeunes adultes assez désabusés quant à ce que leur réserve l'avenir. Chacun doit vivre en ayant conscience que la société ne les attend pas, et que la justice sociale n'existe pas. L'un d'entre eux doit cumuler 2 emplois pour payer les frais médicaux de sa mère, l'autre a vu son frère mourir dans une manifestation pacifique, sous les coups des forces de l'ordre, et le troisième n'a que trop conscience du racisme ordinaire. C'est donc la raison pour laquelle ils ont choisi de prendre un raccourci en s'appropriant de l'argent qui ne leur appartient pas. En face d'eux, Akio travaille pour le gouvernement, mais il est lui aussi insatisfait de ne pas pouvoir mener à bien les recherches qui lui tiennent à cœur, les travaux qui ont réellement la capacité de transformer la société. De fait les 3 jeunes gens acquièrent bien des capacités extraordinaires à la fin du premier épisode, comme par exemple la possibilité de voler par ses propres moyens. La question est bien de sûr de savoir ce qu'ils vont en faire. Non, ils ne revêtent pas des costumes moulants aux couleurs criardes avec des noms de code puérils, pour combattre le crime.


De fait André Lima Araújo réalise des dessins dans une veine descriptive et réaliste, avec des traits de contours assez fins et très peu d'aplats de noir. Sa manière de dessiner évoque celle de Martin Morazzo dans Great Pacific de Joe Harris. Ses personnages ont des morphologies normales, sans exagération de muscle ou de poitrines. Le lecteur peut voir les différences d'âge, que ce soit la jeunesse du trio (une vingtaine d'années), ou la marque des années sur le visage et le corps des parents de Nick, de la mère d'Elena, ou encore sur le Général. Dans le premier tiers du récit, le langage corporel des protagonistes est de type naturaliste, sans exagération de mouvement, ou d'expression du visage. Par la suite, la violence des événements et leur soudaineté justifient des mouvements plus vifs et plus amples, et des émotions qui marquent plus les visages. Alors même qu'il y a de nombreuses discussions et du travail sur ordinateur dans le premier tiers, l'artiste sait concevoir des plans de prises de vue qui restent vivants et intéressants visuellement. Pour le remarquer, il suffit de regarder les planches muettes quand Elena se rend au travail puis revient chez elle, quand Nick mange avec ses parents puis prend un bain, et quand Baldwin se prépare pour sa journée. Le degré d'informations visuelles est élevé, et ses pages se comprennent au premier coup d'œil.


Parmi les superpouvoirs, il y a une super-force, ce qui implique des combats physiques et des actes violents et destructeurs. Passé le moment de plaisir physique du vol autonome, André Lima Araújo doit représenter cette violence. Il continue de dessiner dans un registre descriptif et réaliste, et ça fait mal. Au fil des affrontements, le lecteur peut voir le casque d'un policier voler en morceaux, des nez cassés qui pissent le sang, et même un individu déchiré en deux, avec du sang partout. L'artiste prouve à plusieurs reprises qu'il sait représenter la violence et montrer l'horreur corporelle, pas seulement lors des affrontements physiques. Au fur et à mesure de l'augmentation du niveau de violence, il fait bon usage des cases de la largeur de la page pour montrer l'ampleur des coups portés, et il a recours à des cases plus grandes pour qu'il y ait assez place pour la destruction. Il utilise également des traits parallèles pour marquer la vitesse des déplacements. Le lecteur se retrouve donc à regarder un spectacle qui dégénère de page en page, prenant conscience de la souffrance accompagnant l'utilisation des pouvoirs, de leur démesure par rapport au corps humain normal, des ravages que cela occasionne dans les différents environnements où ils sont utilisés.


André Lima Araújo montre des endroits réalistes, existant dans le quotidien, aisément reconnaissables et fonctionnels. À la rigueur, il n'y a que la cabane au fond des bois qui semble un peu étriquée, mais le reste, de la salle de réunion à la centrale nucléaire, correspond à ce qui existe. Par contre l'effet de l'utilisation des superpouvoirs fait basculer la narration visuelle dans un registre plus spectaculaire, l'éloignant du monde de tous les jours, pour aller vers un récit plus orienté action avec un soupçon d'horreur. Le lecteur s'en trouve un peu surpris car le début du récit laissait entrevoir d'autres directions possibles, comme celle de creuser la nature des 3 documents établis par Akio, et la relation entre matière et information. Finalement Aleš Kot se concentre sur le devenir des 3 jeunes gens. Il montre comment leur histoire personnelle va orienter la manière dont ils se servent de leur pouvoir, ainsi que leurs relations interpersonnelles. S'il n'est pas assez attentif, le lecteur peut même ressentir l'impression que le récit se termine alors qu'il vient tout juste de commencer.


L'une des citations en quatrième de couverture évoque les problèmes du millénaire. De fait, Aleš Kot se focalise sur ses 3 principaux personnages, avec Akio en plus. Il reprend une trame très classique d'une organisation militaire qui crée des surhommes, un peu malgré elle, parce qu'elle s'est fait doubler par le scientifique en charge du projet. Aleš Kot utilise le genre superhéros, ou plutôt surhomme, pour sonder un aspect de la société. Il raconte bien une histoire au premier degré, Elena, Nick et Baldwin cédant à la tentation d'utiliser leur pouvoir, pourchassés par les militaires qui veulent contenir ces individus afin de les utiliser. Le lecteur retrouve un récit très classique. Dans le même temps, les 3 jeunes gens font un usage inattendu de leurs pouvoirs, qui les conduit à s'affronter entre eux. Il apparaît alors que leur conduite découle de leur position sociale, de leur histoire personnelle, et de la manière dont la société les a traités. Aleš Kot réalise en creux une critique pénétrante et acerbe sur la place que la société réserve aux jeunes.


Le lecteur se lance dans cette lecture, a priori tenté par le nom du scénariste. Il commence par découvrir une histoire de possibilité d'acquérir des superpouvoirs grâce au codage de l'information ce qui l'aiguille vers un récit entre superhéros et métaphysique. Les dessins d'André Lima Araújo montrent un monde concret et réaliste, rapidement trop normal pour contenir de tels pouvoirs. Petit à petit, la véritable nature du récit se dévoile au fil de scènes de plus en plus spectaculaire, pour une histoire plus originale, mais manquant un peu de substance en termes de critique sociale.

Presence
7
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le 23 mars 2020

Critique lue 42 fois

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