La vérité se cache dans les séries télé.

Ce tome est le premier d'une nouvelle série indépendante de toute autre, et il n'est pas sûr qu'il y ait un jour un deuxième tome. Il comprend les épisodes 1 à 7, initialement parus en 2015, écrits par Tim Seeley, dessinés et encrés par Marley Zarcone, avec une mise en couleurs de Ryan Hill. Zarcone a été aidé à l'encrage par Jess Hamm pour l'épisode 3 et une partie du 4, par Jen Vaughn qui a encré les épisodes 5 et 6.


Le récit s'ouvre avec une scène d'un des épisodes de Star Cops, une série de science-fiction (fictive) pour enfants, passant à la télévision il y a une dizaine d'années. La scène suivante se déroule à Effigy Mound (une petite ville de l'Ohio) où travaille Chondra Jackson, comme simple policière (elle est en train de dresser un procès-verbal pour absence de paiement de stationnement). Elle interprétait Bebe Soma, l'une des Star Cops quand elle était encore enfant. Le midi elle se rend chez sa mère Ginger Jackson pour lui apporter son repas asiatique, et cette dernière évoque le moyen de relancer la carrière d'actrice de sa fille Chondra, en essayant de capitaliser sur la sex-tape qu'elle lui a fait tourner.


Chondra Jackson quitte rapidement sa mère car elle est appelée par le commandant Combs sur une scène de meurtre. Elle y fait la connaissance de l'inspecteur Grant Moore, et elle constate que la victime Sheila Harmon avait le slogan des Star Cops tatoué sur son dos. Le corps de la victime est étrangement momifié, et dénudé. Elle va assister l'inspecteur Moore dans son enquête Premier arrêt : la demeure d'Edward (Eddie) Chacon, une amie d'enfance de Chondra Jackson, mais aussi la présidente du fan club des Star Cops à Effigy Mound.


En 2013, Karen Berger quitte ses fonctions d'éditeur en chef de Vertigo (la branche adulte de DC Comics), et pour une grande partie, cela sonne le glas à moyen terme de la vie de cette branche. Malgré les mauvais augures, Vertigo continue de publier quelques titres, survivant même à l'arrêt de la série Fables en 2015. Par contre la concurrence est rude avec Image Comics qui propose des contrats où les créateurs maîtrisent plus d'aspects de la publication de leur série, que chez Vertigo. L'annonce de la série Effigy ne rameute pas les foules, et elle s'arrête au bout de 7 épisodes. Pourtant vu de l'extérieur, les couvertures de W. Scott Forbes sont intrigantes du fait des scènes qu'elles représentent, et séduisantes avec leurs couleurs un peu pop.


Par contre, il est sûr qu'en feuilletant rapidement ce comics, le niveau d'intérêt chute brutalement. L'apparence des dessins est un peu simpliste. Marley Zarcone utilise un trait un peu fin pour détourer les surfaces, sans beaucoup de variation d'épaisseur, ce qui leur donne une apparence un peu plate. Les visages sont expressifs, mais sans grande identité. Certaines expressions semblent exagérées, du fait du degré de simplification. Les phalanges des doigts ne sont pas séparées, comme s'il s'agissait de mains en silicone, sans jointures. Certains lieux donnent l'impression d'une maquette. Les tenues vestimentaires sont très quelconques, sans représentation de leur texture. Bref, au premier abord les dessins n'ont rien d'attractif, et ne semblent pas forcément s'adresser à des adultes.


Certes, il y a bien un cadavre, quelques scènes de violence, et même 2 scènes explicites de rapport sexuel, mais les dessins laissent une impression de série Z, sans grande consistance (et sans une once de potentiel érotique). De même le texte en quatrième de couverture ne permet pas de bien comprendre la nature du récit, et laisse dubitatif quant à son intérêt. D'un autre côté, le scénariste s'est fait connaître avec Hack/Slash , une série de slasher parfois vraiment malsaine. Il a prouvé avec sa série Revival (à commencer par You're among friends ) qu'il est capable d'utiliser les conventions du genre Horreur pour des récits ambitieux, évoquant certains aspects de la condition humaine.


Le lecteur commence donc par s'infliger 4 pages d'une scène de Star Cops, aux dessins pour enfants, au scénario plat et sans intérêt. Il suit ensuite Chondra Jackson jusqu'au cadavre. Les dessins se lisent immédiatement du fait de leur faible densité d'informations visuelles, mais tout y est. Chaque personnage s'identifie aisément. Le lecteur sait où se déroule chaque séquence, même si les représentations manquent de texture et d'ombrage. Le scénariste se met rapidement à l'œuvre et déstabilise le lecteur, car l'écart avec la séquence d'ouverture est de taille.


Pour commencer, Chondra Jackson se fait rabrouer par une conductrice, pour mettre un PV pour une broutille, comme si elle se vengeait du fait que son quart d'heure de célébrité warholien soit déjà passé. Ensuite, sa mère évoque sa sex-tape, dans une séquence qui fait immédiatement penser à Kim Kardashian et à ses talents qui lui ont permis de lancer sa carrière. Ensuite, Seeley manie l'humour à froid avec une belle dextérité. Il y a ce meurtre bizarre, avec la présence écœurante d'asticots (pour le coup, l'innocuité des dessins désamorce complètement l'horreur de la scène).


Avec ce premier épisode, le lecteur a bien compris qu'il s'agit d'un récit pour adulte, dans lequel le bizarre l'attend au tournant. Tim Seeley intègre 2 séquences dans le premier épisode, qui permettent d'établir le fondement psychologique des 2 principaux personnages (Chondra Jackson et Grant Moore). Il file le thème de la célébrité d'épisode en épisode, sans qu'il ne devienne le centre du récit, mais sans qu'il ne disparaisse non plus. Le lecteur peut ainsi apprécier la distance qui sépare les aspirations de la mère, de celles de la fille.


Au fil de ces 7 épisodes, l'auteur va intégrer et développer d'autres thèmes, avec un regard teinté de sarcasme, sans pour autant condamner ou ridiculiser ses personnages. Le feuilleton Star Cops a donné lieu à la naissance de fan clubs pour la nostalgie, et certains spectateurs se sont persuadés qu'il y avait un sens caché dans la série, une sorte de révélation philosphico-mystique, accessible à ceux qui s'en donnent la peine. À la fois, l'auteur brocarde les spectateurs avides de divertissement qui veulent à tout prix voir un sens spirituel dans leur série préférée (pourquoi pas une révélation dans Star Trek ou une religion fondée sur la Force de Star Wars ?), mais à la fois il les dépeint comme des individus normaux et appréciables.


Tim Seeley intègre également un personnage transgenre qui se prostitue pour payer son loyer, là encore mettant en lumière la fascination d'une cliente, tout en la justifiant, et sans la condamner. Les dessins épurés de Marley Zarcone empêche toute dimension érotique ou voyeuriste dans ce rapport tarifé, mais ils empêchent également de le prendre trop au sérieux, de vraiment y croire. Seuls les dialogues permettent au lecteur de pouvoir croire à des personnages si falots en image.


Il intègre aussi une version expurgée de la scientologie, plutôt bien vue, consacrant le septième épisode à son créateur. À nouveau, il s'agit d'une référence appréciable surtout par un adulte. D'un côté, il s'en sert comme un élément narratif bien pratique (allant jusqu'à un élément de science-fiction) ; de l'autre côté, il reprend et illustre comment un auteur de science-fiction peut se retrouver à la tête d'un mouvement spirituel.


La fin du récit laisse le lecteur sur sa faim. Tim Seeley a pu terminer sa première saison, mais elle s'achève sur une ouverture avec l'apparition d'une nouvelle faction, assez délirante, qui récupère Chondra Jackson, pour essayer de retrouver un personnage surnommé l'auteur. Cette fin laisse beaucoup d'intrigues secondaires en suspens, de manière insatisfaisante. Le lecteur reste également à moitié convaincu par l'approche graphique de Marley Zarcone. D'un côté, ses dessins épurés permettent de lier toutes les composantes du récit (même les plus outrées) dans un univers visuel cohérent, sans solution de continuité entre un cadavre desséché et un voyage astral. Ils évitent de transformer le lecteur en voyeur, même dans les situations les plus explicites qu'il s'agisse de violence (blessure à l'arme blanche) ou de scène de lit (rapport tarifé). D'un autre côté ce degré de simplification neutralise souvent la tension dramatique, donnant l'impression qu'il s'agit d'une représentation bon marché de situations en réalité beaucoup plus complexes et ambigües.


Avec cette histoire, Tim Seeley confirme qu'il est un scénariste inventif, capable d'imaginer des séries décalées, avec une sensibilité réelle, et une manière très personnelle de sonder la condition humaine dans ce qu'elle peut avoir d'horrible, mais aussi d'absurde. À plusieurs reprises, il sait montrer à quel point la rencontre entre 2 individus met avant tout en évidence la nature égocentrique de la perception et de la vie humaine. Malheureusement, le lecteur ressent que ces 7 épisodes forment une saison trop courte, dans laquelle l'auteur a dû accélérer pour achever son intrigue principale, délaissant beaucoup d'intrigues secondaires, et terminant sur une ouverture qui exige une suite (qui ne viendra peut-être jamais). Le lecteur regrette également le choix esthétique de Marley Zarcone qui réalise des dessins simplifiés évitant de se vautrer dans une fange visuelle trop explicite, mais émoussant trop le relief du récit.

Presence
8
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le 3 oct. 2020

Critique lue 27 fois

Presence

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