Ce tome fait suite à Injection Tome 1 (épisodes 1 à 5) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2016, écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Declan Shalvey, avec une mise en couleurs réalisée par Jordie Bellaire.


Une nouvelle journée commence pour Vivek Headland. Il se réveille dans son lit et commence par prendre une douche, puis se rase, et ensuite enfile une chemise blanche et un costume noir. Il se rend dans son bureau dont les murs sont couverts de projection de chaînes de télévision du sol au plafond. Il récite un passage de Georg Hegel (1770-1831). Il accueille froidement Red, son homme à tout faire, déclarant qu'il s'ennuie à mourir et qu'il doute que la journée puisse s'avérer intéressante. Il reçoit un client dans la pièce qu'il a surnommée pièce humaine. Il s'agit de John van der Zee. Il lui propose un café et demande à Red d'aller leur chercher des sandwichs, sans lichen. En discutant avec le cuisinier, Red se souvient des circonstances dans lesquelles Vivek Headland l'a recruté, lui Red. Headland explique à son client qu'il sait très bien qui il est, et lui demande pour quelle raison il est venu le consulter. Van der Zee répond que quelqu'un a volé le fantôme de sa maîtresse. Red apporte les sandwichs. Van der Zee explique que sa maîtresse est décédée il y a 6 semaines, mais qu'en consultant la seule photographie d'elle dont il dispose, elle lui est apparue en chair et en os. Malheureusement la veille la photographie avait disparu du coffre dans lequel il l'avait mise en sécurité.


Vivek Headland prend la photographie que John van der Zee lui tend sur laquelle se trouve lui-même, son fils et sa maîtresse. Il reformule ce que lui a indiqué van der Zee et prend une bouchée du sandwich. Il se lève calmement et sort de la pièce. Il va trouver son cuisinier et lui demande d'où provient le jambon qu'il a utilisé pour préparer le sandwich, car il a reconnu le goût de la chair humaine. Le cuisinier l'informe qu'il provient de leur épicier habituel situé dans un quartier de Brooklyn. Headland se remémore dans quelles circonstances il a déjà goûté de la chair humaine, ainsi que sa rencontre avec Jacques Derrida (1930-2004), puis avec Tenzin Gyatso (le quatorzième dalaï-lama) et du moment où il s'était recueilli devant la tombe de Georg Hegel. Avant de partir, il informe l'inspectrice de police Lucy Diaz de l'endroit où il se rend, et il se fait conduire en voiture par Red qui est armé d'un Glock 19.


Le premier tome s'était avéré une lecture des plus agréables, déconcertante de prime abord du fait des mystères entourant le groupe des 5 personnages principaux, de la présentation des informations dans un désordre chronologique savamment étudié, et du questionnement sur la nature de l'Injection. La mise en images et en couleurs était à la hauteur de l'ambition du scénario, fournissant un haut degré de divertissement. Outre une intrigue de haute volée, le lecteur avait la satisfaction d'avoir le fin mot de l'histoire concernant l'Injection. Il attaque donc la lecture de ce deuxième tome confiant dans sa compréhension du principe actif du récit, se régalant par avance d'une narration visuelle excellente. La mise en couleurs de Jordie Bellaire s'avère tout autant évidente, grâce à un haut degré de sophistication. Au fil des pages, le lecteur éprouve la sensation d'une mise en couleurs naturaliste. Mais s'il ressent la curiosité de revenir en arrière en ne considérant que les couleurs, il se rend compte que Jordie Bellaire est une véritable artiste utilisant la palette des couleurs avec retenue et adresse, pour compléter les dessins d'une manière plus élaborée que d'apposer les couleurs de chaque élément, en rehaussant un peu leur relief. Elle établit des ambiances lumineuses adaptées à chaque séquence, de manière conceptuelle. La manifestation la plus simple à repérer réside dans les dessins représentés en négatif, des traits blancs sur fond noir. Ce dispositif est utilisé avec parcimonie et correspond à une activité intellectuelle particulière de Vivek Headland, facile à interpréter avec la répétition.


Comme dans le premier tome, le scénario de Warren Ellis met fortement le dessinateur à contribution. Il n'y a qu'une ou deux pages complètement dépourvues de texte, parfaitement exécutées et d'une lisibilité exemplaire, mais il y a des séquences difficiles à rendre plausibles ou simplement visuellement intéressantes. Plus que dans le premier tome, il y a des scènes qui reposent entièrement sur les sentiments des personnages pour pouvoir fonctionner. Declan Shalvey reprend bien sûr les mêmes acteurs / personnages que dans le tome 1, et sa direction des acteurs réussit à leur faire exprimer les nuances voulues quelle que soit leur nature. Le lecteur peut voir le maniérisme de Vivek Headland, ainsi que sa mine compassée du fait de son ennui. Il peut lire le degré de détresse de John van der Zee sur son visage, ainsi que sa fatigue du fait de nuits sans dormir suite à la disparition de sa bienaimée. Il sourit devant l'air malicieux du cuisinier. Il ressent de l'empathie devant l'expression de l'exaspération de l'inspectrice Lucy Diaz qui sait que Vivek headland ne lui dira que ce qu'il veut, et que lorsqu'il répond honnêtement à ses questions, c'est encore pire. Les quelques scènes d'action sont tout aussi sèches et efficaces que dans le tome 1. Après l'incroyable démonstration des talents de Robin Morel dans le tome 1, c'est au tour de Brigid Roth de disposer d'un dessin en double page dévoilant son antre, et le lecteur en a là aussi le souffle coupé. Il a à nouveau l'occasion de prendre la pleine mesure des nuances de sensibilité que sait retranscrire Declan Shalvey lorsqu'il représente 2 hommes dans un lit qui viennent de passer la nuit ensemble dans une relation homosexuelle. Il peut lire à la fois leur tendresse, leur connivence, et leur souhait de ne pas ébruiter leur affaire.


Pour ce deuxième tome, Warren Ellis a choisi de raconter une enquête de Vivek Headlong. Elle implique la participation active de Brigid Roth et Simeon Winters. Headlong a l'occasion d'appeler Maria Kilbride et d'agir sur la situation de Robin Morel. Le lecteur a donc l'occasion de revoir tous les membres de l’Unité des Contaminations Culturelles Croisées. Le lecteur retrouve même ce tatouage qui unit les membres de la CCCU. L'Injection se manifeste également à plusieurs reprises. Il s'agit bel et bien de la suite du fil narratif principal du tome 1, et la situation connaît une évolution significative, et même plusieurs. Le scénariste joue carte sur table et les éléments exposés dans le premier tome sont nécessaires et suffisants pour comprendre l'intrigue. Il déroule l'enquête de Vivek Headlong de manière linéaire, sans compliquer la structure de son récit, sans garder une carte dans sa manche. Le lecteur peut donc apprécier cette histoire au premier degré, sans effort intellectuel, sans craindre de devoir prendre des notes, de se référer à une encyclopédie pour une référence culturelle trop intellectuelle.


Vivek Headlong apparaît donc comme un individu maniéré, soucieux de maîtriser son environnement, exerçant le métier de détective, disposant d'un fidèle aide qui lui est entièrement dévoué, et faisant preuve d'une capacité de déduction hors du commun. Il ne se déguise pas et il ne consomme pas de cocaïne. Néanmoins, au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête, le lecteur relève les points communs avec Sherlock Holmes et constate que Warren Ellis se livre à un hommage extraordinaire. Il reprend les conventions des histoires de Sherlock Holmes, tout en conservant l'identité qu'il a insufflé à Vivek Headlong. Le lecteur peut lire ce tome comme une savoureuse enquête menée par un individu très intelligent. Il peut aussi le lire comme un commentaire sur Sherlock Holmes, et une variation sur le personnage. Comme Holmes, Headlong souffre d'une forme d'ennui généré par le fait qu'il est capable de devancer les pensées des personnes de son entourage avec plusieurs heures d'avance sur eux, voire de jours, ce qu'il exprime de manière explicite dans le dernier épisode. Il dispose d'une culture extraordinaire qu'il a acquise par l'apprentissage. Cela donne lieu à plusieurs scènes mémorables dont celle où le lecteur voit comment il a appris à reconnaître le goût de la chair humaine, et celle où il expérimente les relations humaines. Dans cette deuxième, Ellis se fait un malin plaisir de tourner en ridicule le principe d'un esprit entièrement dévolu à la logique et incapable d'éprouver des émotions.


Warren Ellis raconte son histoire à la manière d'Arthur Conan Doyle, y compris la scène d'explication finale. C'est un tour de force car ce type de scène se marie mal avec un média visuel. Le lecteur voit tout de suite l'artificialité d'un individu pérorant devant d'autres, expliquant qu'il a tout compris devant un auditoire captif. Il faut tout l'élégance narrative d'Ellis, Shalvey et Bellaire pour rendre naturel cet épisode au cours duquel Headlong révèle tout à son ennemi, et ça passe très bien, une preuve éclatante du talent des 3 créateurs. Ce récit ne se limite pas à une savoureuse enquête menée de main de maître, doublée d'un métacommentaire sur Sherlock Holmes. Il comprend aussi un portrait psychologique en creux de Vivek Headlong et de sa méthode construite sur la phénoménologie, telle conceptualisée par Georg Hegel, et développée par Jacques Derrida. Il intègre également des réflexions pénétrantes et décalées, ainsi que quelques touches d'humour savoureuses. Le lecteur se rend compte que 2 personnages ont une sensibilité sociale leur permettant de relever le racisme inconscient d'une culture construite par des blancs. Les réparties de Brigid font toujours autant mouche. Il est impossible de ne pas sourire en voyant la manière dont Red fait étalage de ses compétences de tireur, devant une case montrant sa balle d'arme à feu arriver pile dans la pupille de sa cible, ou encore en découvrant la répartie de Vivek Headlong sur le lichen dans son sandwich. De façon tout aussi élégante et légère, Ellis continue aussi de développer son concept d'Injection, en évoquant une de ses phases d'apprentissage.


Ce deuxième tome est d'une saveur exquise, grâce à un scénario à la fois léger et dense, et des dessins aussi efficaces et intelligents qu'ils sont naturels et fluide.

Presence
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le 2 août 2019

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