Ce tome fait suite à Outcast T05: Une nouvelle voie (épisodes 25 à 30) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 31 à 36, initialement parus en 2017/2018, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Paul Azaceta, et mis en couleurs par Elizabeth Breitweiser.


Dans la petite ville de Rome en Virginie, Kelly vient réveiller son père Rowland Tusk, encore allongé dans son lit. Une fois lavé et habillé, il descend dans la cuisine retrouver son épouse Mona, sa fille Kelly et son fils Donald. Ce dernier a l'air déprimé : il va encore se retrouver petit nouveau dans une classe avec que des enfants qu'il ne connaît pas. Son père lui demande de faire cet effort à nouveau, tout l'assurant qu'il ne tardera pas à se faire de nouveaux copains. Il dépose ses enfants à l'école, et crie bien fort qu'il aime son fils, alors que celui-ci rentre dans l'école, pour que tous les autres enfants l'entendent. Cela fait sourire une maman à côté. Il en profite pour lui demander si la conseillère d'éducation Megan Holt est toujours dans cet établissement. La réponse est négative. Puis Rowland Tusk remonte en voiture et va amener des paquets de nourriture au révérend Elijah qui a remplacé le révérend John Anderson. Il lui indique qu'il va l'aider dans sa distribution aux personnes nécessiteuses. Premier arrêt : une vieille dame Mildred qui se déclare fort satisfaite de son arrivée, parce que sa relation avec Sydney, son prédécesseur, était difficile.


Puis Rowland Tusk se rend au commissariat où il est reçu par le nouveau shérif Ross qui a remplacé Brian Giles. Il lui explique qu'il doit retrouver Kyle Barnes au plus vite et il s'agit d'un ordre. Un policier entre dans le bureau sans prévenir : un des leurs s'est échappé et s'est réfugié dans une grange dont le propriétaire les a appelés. Ross se lève immédiatement pour y aller : Tusk lui fait comprendre qu'il les accompagne, et que ce n'est pas une question pour demander la permission. Sur place, il demande au fermier de lui apporter une couverture, et il entre le premier pour maîtriser le forcené, en demandant aux policiers de l'attraper s'il tente de s'échapper. De con côté, Kyle Barnes découvre que tout un camp s'est installé autour de la grange dans laquelle le révérend John Anderson célèbre la messe. Il demande des explications parce qu'un tel rassemblement va attirer l'attention à très court terme, faisant courir le risque d'être capturé à sa femme et sa fille. Le révérend et Simon essayent de le calmer. De leur côté, Rowland Tusk et le révérend Elijah interviennent dans une maison pour un autre cas de forcené.


À la fin du tome précédent, les auteurs introduisaient un nouveau personnage sortant de nulle part et visiblement très influent, voire investi d'une autorité certaine parmi la communauté traquant les proscrits. Le premier épisode de ce tome permet de faire connaissance avec ce bel afro-américain : individu à forte carrure, musclé sans exagération, avec une belle prestance et une réelle assurance de quelqu'un qui sait ce qu'il fait. Robert Kirkman est un maître dans la création de personnages terrifiant et crédible. Rowland Tusk n'est pas Negan, mais il en impose. Son assurance ne s'exprime pas de manière grossière, mais le lecteur voit que lorsqu'il parle, les autres l'écoutent et obéissent : ils filent droit. Il faut dire que lorsque Tusk perd son calme, ce n'est pas beau avoir avec une séquence éprouvante de châtiment corporel. Rien de gore mais l'artiste montre la souffrance de l'incompétent qui subit la mutilation, et la rage froide qui habite Rowland : un moment mangé par les ombres, et pourtant à l'intensité insoutenable. Son langage corporel montre un individu habitué à utiliser sa stature pour intimider son interlocuteur par sa taille et par la menace sous-jacente de l'utilisation de la force physique, sans pour autant passer à l'acte systématiquement. Dessinateur & artiste racontent l'histoire en étant en parfaitement phase : il suffit de regarder la manière dont Rowland devient menaçant sans s'en rendre compte, face à son épouse qui lui fait rappel calmement ses devoirs de père, ou lorsqu'il sourit en énonçant des menaces ignobles en s'adressant à Megan Holt.


Le lecteur ressent le magnétisme de Rowland Tusk ainsi que son caractère implacable et sa détermination inébranlable de mener à bien sa mission : capturer Kyle Barnes, et tant pis pour tous ceux qui se trouvent intentionnellement ou non sur son chemin. L'intrigue franchit un palier. Côté Barnes, l'intrigue franchit également un palier avec l'installation de cette communauté ne permettant plus de rester au niveau de discrétion nécessaire pour ne pas être repéré. Kirkman ouvre le récit à des personnes venant de l'extérieur : c'était le cas avec Simon, encore plus avec Rowland Tusk, et encore plus avec le fils du révérend John Anderson. Le conflit entre les 2 factions est inéluctable et il n'est plus très loin en termes d'épisodes. Bien sûr, le lecteur s'est progressivement habitué aux dessins un peu secs et à la mise en couleurs assez sombre. Mais il constate également que Paul Azaceta semble plus à l'aise, avec des pages plus fluides et des dessins plus naturels, moins maniérés, tout en conservant les caractéristiques de départ : encrage et zones de noir appuyés, visages et silhouettes un peu sculptées, sans adoucissement des contours par des arrondis. Les images conservent leur aspect brut de décoffrage, évoquant une vie proche du milieu naturel, sans apprêts.


Elizabeth Breitweiser semble elle aussi plus à l'aise, avec une approche plus personnalisée pour complémenter les dessins, au point que le lecteur puisse ne pas s'en apercevoir. Elle apporte ainsi des éléments très discrets comme un motif de papier peint, ou la silhouette des arbres en fond de case, nourrissant la case, sans se faire remarquer, les traits encrés restant au premier plan. Plus que dans les tomes précédents, le lecteur est absorbé par la narration visuelle, sans moment où l'immersion se retrouve rompue par une expression de visage trop appuyée, ou un décor semblant artificiel ou en carton-pâte. Le jeu des acteurs est naturaliste au point d'en devenir évident, tant il exprime l'état d'esprit de chaque personnage en fonction de sa morphologie, de sa position sociale, de son âge, de son activité. Il suffit de regarder les personnes plus âgées comme Mildred ou John Anderson pour voir que leurs gestes sont plus mesurés que ceux des personnages plus jeunes. L'artiste conçoit des plans de prise de vue spécifiques pour chaque séquence, avec une utilisation plus limitée et plus pertinente des cases en insert. Le lecteur ressent la bienveillance qui règne entre les membres de la famille Tusk lors du petit déjeuner dans la cuisine, la brutalité sans pitié de Tusk en train de mutiler un individu, la déstabilisation de Kyle Barnes découvrant le campement à côté de la grange et les activités très ordinaires des personnes (très belle utilisation de cases en insert), l'ébahissement de Barnes quand les paroissiens s'agenouillent devant lui, l'indignation révoltée de Barnes face aux policiers, etc. Paul Azaceta réalise des planches avec une apparence austère, et une grande sensibilité.


De son côté, Robert Kirkman donne l'impression d'avoir enfin installé assez d'éléments de l'intrigue pour pouvoir développer un propos plus riche. Certes, au premier niveau, cela reste une histoire de possession, avec les bons d'un côté (Kyle Barnes et les autres), et les méchants de l'autre (Rowland Tusk et les autres), avec la lumière qui s'oppose aux ténèbres. Mais de l'autre, le lecteur ressent de la sympathie pour Tusk, malgré son comportement monstrueux, et le plaisir qu'il prend à imposer sa volonté en manipulant les autres (parfois en usant de sa force, mais en dernier recours). C'est un homme avec une belle prestance, intelligent, et qui obtient des résultats, qui agit pour le bien de sa communauté. En face, le scénariste joue avec d'autres conventions. Kyle est de plus en plus sympathique parce que finalement il avait raison depuis le départ, mais en même temps, il se montre égoïste en souhaitant assurer la sécurité de sa femme et sa fille quitte à rejeter des dizaines de personnes, violent en exorcisant les possédés qui se retrouvent dans un état végétatif ensuite. En plus il n'a pas été un bon père de famille comme l'a été Rowland. Kirkman continue à jouer avec les conventions dans la dernière séquence. La communauté du révérend John Anderson se défend, ce qui occasionne la mort des policiers qui intervenaient. Impossible de ne pas penser à un assaut donné sur une secte réfugiée dans une ferme, comme par exemple celle des davidiens et le siège de Waco au Texas en 1993, avec l'intervention du FBI… sauf que le scénariste inverse le résultat, incriminant la communauté qui, vue de l'extérieur, donne effectivement l'impression d'une secte dangereuse.


Arrivé au sixième tome de la série, le lecteur reste dubitatif de cette lutte d'entités de lumière contre des entités des ténèbres, au travers d'êtres humains vivants dans la petite ville de Rome en Virginie Occidentale, avec des dessins un peu frustes, mais bien sombres. Peut-être que le déclic s'est déjà produit dans un tome précédent, sinon celui-ci donne l'impression que les différentes composantes révèlent enfin leur potentialité. Paul Azaceta réalise des pages plus efficaces, plus convaincantes, plus expressives, et toujours aussi personnelles. La situation des personnages est arrivée à un point critique, et le scénariste ouvre l'horizon avec des conséquences qui dépassent la petite ville de Rome, des personnages fascinants, à la fois clairement affiliés au bien ou au mal, à la fois échappant à cette dichotomie, générant une étrange résonnance avec des drames inoubliables.

Presence
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 24 oct. 2020

Critique lue 38 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 38 fois

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime