Jolies ténèbres
7.5
Jolies ténèbres

BD franco-belge de Fabien Vehlmann et Kerascoët (2009)

Un récit aux prémisses un peu mièvres : de charmants petits personnages, une dinette en simulacre du monde des grands, une amourette enfantine... Mais très vite, un processus morbide s'enclenche, une sauvagerie irréfléchie s'invite, les saynètes épouvantables se succèdent et la fable se révèle en une pantomime macabre qui va suivre son cours jusqu'à la curée...

Provocation maline ou gratuite ? Démarche talentueuse et audacieuse ? Ou tout simplement mauvais goût ? Que peut légitimer ce déversement de sadisme poussé parfois jusqu'à son paroxysme ? Y a-t-il un message, une morale ? Difficile de saisir les desseins réels des auteurs.

Album refermé, je demeure sur une sensation étrange, mais très agréable. Un mélange d'agacement et de jubilation, quand j'appréhende qu'à chaque nouvelle lecture tout restera à comprendre. Cet étalage de violence, de férocité insouciante ne m'a jamais vrillé les tripes. Plus dérouté que dérangé. L'oeuvre m'apparaît comme un champ d'exploration intellectuellement vivifiant, une curiosité à arpenter l'esprit ouvert, et, j'ose, un divertissement (à l'humour noir astucieusement grimé) qui se dévoilera différemment selon les sensibilités de chacun.

Un frisson me parcourt tout de même l'échine quand je perçois le plaisir ressenti à jouer les voyeurs. Mais un voyeurisme excusable, inconscient, à la fois assourdi et exhorté par la fascination visuelle, par l'esthétisme envoûtant d'un trait riche, doux et empreint de naïveté. Cette emphase graphique féérique, orchestrée par une narration savamment désintéressée, instaure un contraste extrêmement puissant et essentiel avec le propos. Le conte se drape d'une poésie froide, d'un détachement subtil qui, loin du désir d'absoudre les trop nombreuses (et injustifiées ?) effusions d'horreurs du scénario, inciterait plutôt à chercher le véritable discours ailleurs.

Transcription désenchantée du monde enfantin, de cette spontanéité insoucieuse avec tous ses excès et sa cruauté sous-jacente ?

Tableau acerbe des facettes d'une nature humaine qui puise ses germes dans l'enfance pour éclore plus sombre et outrageusement maquillée sous les traits d'une société terriblement adulte ?

Inexorable entrée dans une vie d'adulte. À partir de l'instant où Aurore embrasse son prince, son enfance commence à s'enfuir, le cadavre et « ses lutins » ne sont que les symboles de traits de caractère qui s'exacerbent et d'une innocence qui s'envole ?

Les perspectives prolifèrent. Chacun, imprégné de son vécu et de son imaginaire, pourra se risquer à ses propres interprétations. C'est là, la principale richesse d'une œuvre déconcertante, originale et de grande qualité.
Sejy
8
Écrit par

Créée

le 19 août 2011

Critique lue 250 fois

Sejy

Écrit par

Critique lue 250 fois

D'autres avis sur Jolies ténèbres

Jolies ténèbres
khorsabad
7

Retour à la nature

Si, éventuellement séduits que vous pourriez être par le style enfantin du dessin, et abusés par la candeur ambiguë du titre, vous achetiez cet album pour un gosse, celui-ci serait en droit de vous...

le 16 mars 2013

18 j'aime

Jolies ténèbres
louiscanard
9

Critique de Jolies ténèbres par louiscanard

Quand une jeune écolière s'en vient mourir au fond d'un bois, en même temps qu'elle entame sa décomposition, elle engendre une peuplade entière d'homoncules qui feront du cadavre leur logis et leur...

le 26 févr. 2011

14 j'aime

2

Jolies ténèbres
Kliban
9

Critique de Jolies ténèbres par Kliban

Une claque. Dans l'inattendu. Le contraste. L'indéniable sadisme. Les silences. La réalisation progressive. Ce qui est dit de l'enfance sous toutes ses formes. Du grand sac de méchancetés de...

le 27 sept. 2010

8 j'aime

3

Du même critique

Un printemps à Tchernobyl
Sejy
9

Effroyable beauté...

Regard oblique. Vision biaisée d’un no man’s land au temps suspendu. Sensation indésirable de plénitude. L’auteur peste, témoin impuissant à retranscrire l’horreur du désastre. Pourtant dans ses...

Par

le 18 oct. 2012

14 j'aime

Mémoire morte
Sejy
9

Critique de Mémoire morte par Sejy

Mémoire morte est, à mes yeux, l'œuvre la plus accessible de l'auteur. Les métaphores sont limpides et le scénario, malgré de savoureux et traditionnels accents d'absurdité, est d'une logique...

Par

le 19 août 2011

12 j'aime

Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1
Sejy
10

Critique de Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1 par Sejy

Je flotte, ahuri. Prisonnier de la bulle nihiliste et lumineuse que Mezzo et Pirus ont créée pour moi. Je vagabonde entre les états d'âme. Béat, repus du plaisir, que dis-je, de la jouissance...

Par

le 19 août 2011

11 j'aime

4