Un album conforme à la série qui n'est pas le plus palpitant du lot et dont on pourrait aisément se passer s'il ne constituait pas un témoignage de sa période d'édition. Paru en 1969 au début du mandat de Georges Pompidou Km 357 développent un récit exaltant la modernisation technique présenté comme la promesse d'un avenir radieux apaisant les tensions sociales et générationnelles qui au même moment traverse la société française.


Titre : Km 357


Auteur : Jean Graton


1ère publication : 1969 Tintin
Publication album : Le Lombard 1971


Album utilisé : Edition courante des éditions du Lombard.


Sources : H. Filippini Dictionnaire de la BD pp. 423-424.


Eléments de critique externe :
16° album de la saga, il met en scène cette fois ci le monde des travaux publiques autoroutiers comme pour d'autres albums l'histoire mêle exposé documentaire et intrigue policière. L'aventure s'appuie sur la duo Michel Vaillant Steve Warson que l'usine Vaillant envoie en mission pour découvrir l'origine des mines sur lesquelles sautent les engins de chantier « Vaillant ».


Éléments d'analyse :
Cet album met en scène l'opposition entre progrès (incarné par l'ingénieur et le chantier) et tradition (incarné par une famille paysage de type patriarcale et tribale obstinément attaché à sa terre), ville et campagne à une époque où cette opposition tend à ne plus être d'actualité.


Les premières pages mettent en scène une famille paysanne littéralement englué dans le temps (P 3, 4, 5) où le progrès domestique semble totalement absent.
– Le feu de la cheminée fournit le chauffage et fait bouillir la marmite (P3 4/1).
– Une unique ampoule éclaire le dessus de la table avec un attrape mouche.


Les portraits des protagonistes sont à l'avenant ils sont qualifiés de « Pas très causant » (P 3 4/2). La jeune fille fait la cuisine et sert tandis que les hommes mangent assis autour de la table où trône l'ancêtre entouré de ses deux fils.


On peut remarquer la similitude des attitudes entre le repas à la ferme des Morin et le conseil d'administration des usines Vaillant (page 6).
Au bout d'une longue table Henri Vaillant préside entouré à gauche et à droite de ses fils Michel et Jean Pierre.
Il arbore la même chevelure blanche que Morin et possède une autorité aussi absolu sur ses fils.
P 7 2/2 :
« A quoi bon discuter !? D'abord, avec le père Vaillant on n'a jamais le dernier mot ! Ensuite ça ressemblait fort à un ordre et les ordres, ça s'exécute ! [...] »


Le décor change l'éclairage de type plein feux révèle tous les détails du décors et fait disparaître toutes les ombres.

Une telle similitude relève de la logique de rapprochement inter-classe qui constitue une constante de la série.


A la similitude des attitudes s'opposent la différence des environnements, le modernisme et la clarté de la salle du conseil d'administration s'oppose à l'archaïsme et à la pénombre de la ferme. Cette différence semble caractérisé deux attitudes sociales opposées.

– Une fermée caractérisé notamment par l'usage du patois.
– Une ouverte sur le monde caractérisé entre autres par le téléphone


Le thème de l'opposition entre progrès et tradition est assez fréquent on le trouve dans certain romans de George Bayard et P.J Bonzon (« Les six compagnons au village englouti » [1976]). Dans l'aventure le conflit sera résolu par le découverte d'un trésor qui symboliquement permettra la réconciliation entre les 2 parties.
Le choix d'un chantier autoroutier comme cadre de l'aventure ne semble rien devoir au hasard, l'époque de publication correspond à la présidence de G. Pompidou qui fait du développement de l’automobile l'un des symbole de son septennat.
– Le président inaugure le salon de l'automobile.
– Le président inaugure un tronçon d'autoroute au volant d'une R 16.
– Paris aménage des voies sur berges.


Cette alliance se concluant d'ailleurs par un mariage entre l'ingénieur et la fille de la famille. La solution proposé ici prend la forme d'une conciliation où le passé accepte le progrès après que ce dernier lui ait fait une allégeance symbolique en l'occurrence la découverte d'un trésor.


La fonction du trésor :


Le trésor fait là office d'objet transitionnel entre les générations, déterré par le bulldozer conduit par l'ingénieur il est découvert par le patriarche de la famille. La métaphore est limpide les efforts conjugués des deux forces en présence permet de mettre à jours le trésors du passé qui permette au futur d'advenir (le trésor est à la fin de l'album investit par le petit fils du patriarche dans la construction d'une laiterie moderne après que l'ancêtre ai renoncé à son pouvoir en accordant la main de sa petite fille (Marie) à l'ingénieur). On retrouve là le thème de l'abandon volontaire du pouvoir par le père présent au début de la saga quand Henri Vaillant le pater-famillias laisse progressivement la direction de l'entreprise à son fils Jean Pierre.


A noter que la perte du trésor familial entraine un blocage dans le temps de la famille Morin, aucuns progrès technique n'est possible ni transmission tant qu'il n'est pas retrouvé.
P 41 4/1 :
Julien Morin : « Au fur et à mesure que les années passaient, la mauvaise humeur des trois hommes augmentait ! Ils ne parvenaient pas à mettre la main sur le trésor.
Marie Morin : Ils négligeaient le travail de la ferme et quand la rage les prenait, ils retournaient la terre n'importe où pendant toute une semaine. »


On peut supposer qu'une pareille mésaventure provoquerait les mêmes effets sur la famille Vaillant. Plus encore qu'un pouvoir économique le trésor possède une fonction fondatrice pour la famille assez semblable à celle qu'acquiert le trésor de Rackham le Rouge dans l'univers hergéen (Cf: Le trésor de Rackham le rouge).


Message intergénérationnel :


Le passage de génération est le thème principale de l'album à une époque où l'évolution économique et sociale rend cruciale.
Le passage d'une génération à l'autre s'incarne dans le passage d'un modèle économique à l'autre.
– L'ancienne génération incarne une économie autarcique dont le but est la thésaurisation.
– La nouvelle génération incarne une économie d'investissement de productivité d'expansion vers l'avenir.


P 25 2/3 & 3/1 :
Julien Morin : « Marie et moi, on voudrait que ça change !... Nous sommes les seuls à vouloir que vive notre terre , les vieux, eux ils ne parlent que d'argent mais comme si ça allait leur tomber du ciel !... Ils tiennent à leur terre, mais ils ne s'en occupent pas !... Vrai, je les comprends point ! // Vous voyez, moi, je suis pour l'autoroute ! L'autoroute c'est notre chance ! Je me suis déjà arrangé avec des jeunes fermiers des environs... en groupant nos bêtes, nos pâtures nous pourrons monter notre propre laiterie et être compétitifs dans le marché commun ! »


A noter que la vision présenté des paysans est très caricatural autant dans la tenue que dans le comportement, ils symbolisent, représentent le passé immobile qui s'oppose au dynamisme du progrès incarné par le chantier autoroutier.


(l'aspect patriarcal peut évoquer le film « La horse » [1971] de Pierre Granier Deferre avec Jean Gabin)


Progrès :


La modernisation apparaît comme un moyen de réconciliation social. La modernisation de l'agriculture française apparaît comme un moyen de solder la tension entre ville et campagne, tradition et modernité, propriété individuel et mise en commun des moyens de production.
Le discours développé par l'épisode est conforme à celui de l'ensemble de la série qui prône un ordre social paternaliste dans lequel la bienveillance d'une autorité de type paternel permet des rapports de classe apaisé (cf: fiche vision politique de la société)


Modèle de virilité.


Pages 12-13, le chef de chantier Patureau correspond à un modèle de virilité incarné par une certaine stature physique et une grande autorité. (cf. A. Rauch évolution de l'image de l'ouvrier).
On remarque l'alliance entre l'ouvrier Patureau et le coureur Michel Vaillant autours des valeurs viriles qui ainsi, suivant la logique de la série, transcende les rapports de classe. L'épisode correspond d'ailleurs à l'initiation virile de l'ingénieur qui à la fin devient un homme en épousant la femme qu'il aime. A noter que l'ingénieur se présente comme un homme sans parents il est de l'assistance publique. Son blocage se débloque à partir du moment où il se révèle capable de tenir tête, d'exprimer sa révolte vis à vis de figures parentales. D'abord Michel Vaillant et Steve Warson puis le vieux Morin. L'initiation virile de l'ingénieur passe par l'adoption de rites identifiés comme proprement masculins comme celui de payer l'apéritif.


Un récit de réconciliation sociale.


Le récit met en scène une réconciliation sociale réunissant tradition et modernité, ville et campagne en démontrant que l'une et l'autre des parties partagent les même valeurs et que les différences ne sont que d'apparence et qu'un peu de bonne volonté permet de surmonter. Le trésor apparaît là comme ayant une fonction réconciliatrice.
Symboliquement le trésor opère un lien entre la passé et l'avenir l'argent découvert va être investit dans la création d'une laiterie moderne, et comme un passage de témoin entre une économie rurale et traditionnelle et une économie moderne et industrielle. Le trésor passant de la terre (par un bulldozer) à l'industrie illustre le passage du secteur primaire à secteur secondaire.

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le 12 déc. 2020

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