On sait à quel point les étasuniens sont fascinés par les interprétations morbides de la société et de son futur. Je me suis parfois demandé comment les auteurs d’œuvres aussi sinistres faisaient pour se motiver à les réaliser jusqu'au bout. Autant se tirer une balle, hein ?

Je me pose la question désormais au sujet de Chauzy. Comment peut-on vivre après avoir porté un regard aussi désespéré au cours de plus de 450 pages de bande dessinée réalisées sur 4 années consécutives et, qui plus est, faites avec talent ?

Car Le reste du monde est un scénario qui tient en haleine et appelle à continuer l'histoire, même quand on est arrivé au bout du quatrième tome. Certes, comme la plupart des histoires du genre, le scénario part sur des incohérences sociales et géopolitiques qui aident à instaurer un climat de terreur et de désespoir et peuvent agacer. Mais il s'agit de projeter nos existences tranquilles dans un paysage soudain cauchemardesque, au prix de l'improbable, et d'imaginer ce que nous deviendrions si, tout à coup, nous devions vivre dans l'équivalent de la guerre de de cent ans, doublée d'une accumulation inédite de catastrophes naturelles. Nous avons tous produit peu ou prou ce genre de fantasme, à la fois euphorisant par le défi animal qu'il nous lance, et infiniment désespérant. La nature y vient à bout de la culture.

Dans cette histoire, notre société tire un trait sur ce qui lui reste de valeurs d'entraide et de compassion, comme si la société de production-consommation qui réduit les individus à de simples fonctions socio-productives les avait anéanties depuis longtemps à la lumière de ses néons et de son artificialité. De "braves gens", nos concitoyens deviennent ainsi des bêtes aussi stupides et peureuses que cruelles, réduisant toute culture sociale à celle d'une meute de hyènes. Wow ! Et Chauzy voit ainsi ses contemporains ? Sincèrement, je le plains. Et pourtant, c'est comme s'il avait anticipé -tout en l'amplifiant à l'extrême- la Dictature sanitaire imposée brutalement à la société par l'équipe de Macron en 2020, l'année suivant celle de l'édition du quatrième tome. Est-ce pour cela qu'il n'y a jamais eu de suite à cette saga post-apocalyptique ? Chauzy a-t-il compris que notre société pouvait effectivement tomber quelque part dans les travers que son imagination profondément assombrie mettait en pages ?

En tous cas, si on en croit le pitch de son dernier album (autobiographique ?) qu'est Sang neuf, on dirait que le pauvre Jean-Christophe a payé lourdement sa culture obscure, et pourtant souvent lucide, de notre monde. La laideur du monde politique, l'égoïsme désespérant de la dictature des chefs d'état et d'entreprise et de leurs valets, ainsi que la fausse modestie des gens simples ne sont pourtant pas les seules valeurs dont l'imagination de l'artiste peut s'inspirer. De Dorian Gray ou bien de son portrait, quel est l'original ?

Je ne saurais conseiller cette oeuvre en 4 tomes qu'aux amateurs de scénarios-catastrophe. Mais je souhaite à Jean-Christophe Chauzy de trouver Le petit chemin qui sent bon la noisette du Jardin extraordinaire et, s'il le peut, de nous en offrir ses impressions.

Edonor
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le 8 avr. 2024

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Edonor

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