Très intéressant récit qui restitue avec fidélité et précision la civilisation inca juste avant la conquête espagnole. En fait, la partie la plus précieuse est la mise en scène du contexte historique, aussi bien les conquêtes de Huayna Capac que les luttes entre ses successeurs Huascar et Atahualpa, les aventures de Nunez de Balboa et son exécution par Pedrarias, soutenu par Pizarre, qui a ses propres projets.

La fidélité aux sources historiques est donc considérable, et le récit de faits ayant réellement eu lieu s'arroge une place inhabituellement grande dans un album qui, malgré tout, cherche à captiver le lecteur par une aventure fictive. Si la mise en contexte historique du début esquive le reproche d'un exposé scolaire en se présentant comme un pré-générique dessiné en couleurs brunes-rougeâtres, les auteurs sont conduits à nous offrir des séquences de faits réellement advenus où l'intrigue de fiction s'insère fort peu (planches 22 à 25, 35 à 43), ce qui crée une dichotomie narrative assez désagréable. Les procédés de mise en images pour échapper à la platitude d'une narration scolaire sont assez réussis : visions macabres et inquiétantes (planches 1 et 2), recours à des prédictions pour annoncer l'arrivée des Espagnols (planche 3).

Par contraste, l'intrigue fictive apparaît comme cousue de conventions, de maladresses, voire d'invraisemblances : le héros, Amaru, commence sa vie comme Moïse, découvert par une vierge sur les eaux du lac Titicaca. Immédiatement, on découvre que le bébé a des ennemis haut placés, dont les intentions, pour obscures qu'elles puissent paraître, semblent bien contradictoires : d'un côté (planche 4), les méchants de l'histoire se suffisaient de "surveiller" l'enfant d' "un oeil" (indice que l'enjeu était d'importance limitée); et, plus tard, les mêmes méchants veulent tuer le même enfant, ou attendent avec impatience qu'il soit sacrifié (planches 32 et 34, 45 à 47). Si ce gosse était si dangereux, pourquoi ne pas l'avoir tué quand il était au berceau ?

L'enfant a un vieil ami, chaman (vision hallucinatoire de l'avenir suscitée par une boisson - planche 21), qui l'envoie d'office dans un aventure très conventionnelle : parcourir les quatre parties de l'Empire Inca pour récupérer quatre statues qui, une fois réunies, donneront un effet dont on ne nous dit rien. Schéma symbolique de la quête de soi et de la synthèse des quatre fonctions psychiques, mais présenté de manière si arbitraire qu'on se croirait un peu dans Dragonball ou Inu-Yasha, qui ne sont quand même pas des récits de la même rigueur...

Arbitraire aussi, la relation soudaine entre Amaru et sa copine Nuna, dont on ne sait d'où elle sort, ni comment les deux se sont rencontrés et se sont liés entre eux (planches 26 et 27). Conventionnelle aussi, la situation où le héros épargne les méchants qui viennent de tenter de le tuer, afin que ces méchants puissent revenir plus tard enquiquiner le héros....

Chaque page ou presque nous offre des scènes et décors fort réalistes de la civilisation et des paysages du monde Inca : les hautes herbes du lac Titicaca (planches 5 et 6), les vierges de la Lune (planche 7) et du Soleil (planche 19), paysages pelés de hauts plateaux et de maisons en pisé et chaume (planche 7), murs cyclopéens d'énormes blocs inégaux mais ajustés avec une précision confondante (planche 8), coureurs incas infatigables sur tous les terrains (planches 8 et 9), sentiers et routes dallées (planche 10), belles vues sur le lac Titicaca et ses îles flottantes que l'on rafistole en permanence (planches 11 et 12), sur Rumicolca (planche 16), sur Huanuco Pamap (planche 17), sur Cuzco (planches 30 et 31), sur le Machu Picchu (planche 33) barques de joncs du lac (planche 13), mitimaes (colons désignés par les autorités) (planche 13), lamas (planches 17 et 20).

Un récit de fiction sans grande surprise donc, qui ne s'insère pas aisément dans le récit de la conquête espagnole, mais qui vaut par la rigueur de sa documentation. Espérons que fiction et réalité se bouderont un peu moins dans les tomes suivants.
khorsabad
7
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le 13 sept. 2013

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