En 1967, j'avais dix ans, et je n'avais pas la chance de vivre sur la Côte d'Azur comme Antoine Lafarge, le héros (et narrateur du livre dans le livre) de "l’Été Diabolik", je lisais "le Journal de Tintin" chaque semaine (encore trop jeune pour Pilote, cela viendrait plus tard...), et "le Fantôme du Bengale" cité par Clerisse comme l'influence du Diabolik des sœurs Giusani, référence "pop" (au même titre que Warhol et bien d'autres artistes 60's...). J'avais été moi aussi, malgré mon jeune âge, bien traumatisé par l'assassinat de Kennedy, qui fut le 9/11 de notre génération, mais je rêvais aussi d'histoires d'espions soviétiques implacables tels que John Le Carré les avait immortalisés avec son "Espion qui Venait du Froid"... Cette introduction paraît compliquée, tirée par les cheveux ? Pourtant, ce sont ces références, subtilement agencées, magnifiquement intégrées dans un récit qui tient autant du roman d'initiation (le sexe, la drogue, forcément...) que du thriller paranoïaque, qui font de "l’Été Diabolik" l'un des romans (graphiques ou non) les plus passionnants que j'aie lus depuis un petit moment. Plusieurs degrés de lecture, bien entendu, un aspect "oeuvre d'art" graphique qui ne gâche rien mais vient au contraire enrichir tout cela d'un intense plaisir esthétique... Pour ceux que les concepts élaborés fascinent, l'idée "de génie" de Smolderen, c'est de nous proposer d'abord le récit d'Antoine, mystérieux, riche de résonances multiples et aussi fascinant que follement divertissant par les tournants fantaisistes que prend l'histoire (voir l'épisode magique de l'Aston Martin de 007...) : même s'il se clôt sur de multiples interrogations, ce récit se suffit à lui même au point que j'aurais envie de conseiller au lecteur le plus aventureux de ne pas lire - ou au moins de faire une pause avant de lire... - la seconde partie (20 ans plus tard...) du livre. Car le coup de force de "l’Été Diabolik" est de rajouter une conclusion qui comble rationnellement - un peu trop systématiquement (la lettre du père, explicative...) même pourrait-on trouver - les béances de la première : on regrettera un peu ce retour à la raison, à la logique, finalement bien typique des tristes années 80, mais on admettra la force d'une résolution qui ramène la perception d'un Mal métaphorique (le fameux masque de Diabolik) à la réalité d'un Mal beaucoup plus intime (le regard dans le rétroviseur illuminé). Bien trop intime pour qu'on puisse espérer en sortir indemne, sans même parler d'en guérir vraiment 20 ans ou 50 ans plus tard. Un chef d'oeuvre de la BD. [Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
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le 2 août 2016

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Eric BBYoda

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