Chantage et contre-chantage
Ce récit très "ligne claire réaliste" ne vous écrasera pas sous la minutie des décors; on est dans le noir et blanc pur et net; la proportion de vignettes à fond blanc dépourvues de tout décor est considérable; les objets dessinés sont limités à ceux qui sont nécessaires à l'intelligibilité du récit. L'épaisseur des traits délimitant les vignettes est inhabituelle, et suggère une certaine indépendance de chaque vignette par rapport à ses voisines (ce que le récit ne confirme pas particulièrement).
Il reste de ce minimalisme militant l'habileté du dessin, et la torsion de l'intrigue. Les personnages - assez peu nombreux - interagissent les uns avec les autres de manière à concourir à l'intrigue centrale, presque au point de s'y enfermer dans un cercle vicieux, ce qui suscite un vague sentiment d'oppression.
Le héros travaille gratuitement le week-end pour une femme qui l'a vu commettre une "indélicatesse" et qui monnaie ainsi son silence. Mais cette femme se révèle être la femme du patron qui emploie le héros pendant la semaine (premier enfermement scénaristique) et la fille du principal suspect d'un meurtre (deuxième enfermement). Le héros vit avec un colocataire qui l'observe et découvre des éléments suspects dans son comportement (troisième enfermement); on irait bien voir la police, sauf que le principal suspect est un policier (quatrième enfermement). Le héros peut alors menacer son employeuse d'une sorte de contre-chantage, qui le libère et rétablit une égalité dans les rapports de force entre les deux. Imbrications propres à générer un sentiment d'oppression.
Là-dessus se greffe une quête amoureuse (à vrai dire ni très prégnante ni très romantique), et qui se termine en suspens.
Rien de très franc, donc, dans cette enquête trouble où les rapports de force évoluent. L'intrigue est assez tordue pour retenir l'attention des amateurs de polars, mais on n'a pas le sentiment malgré tout d'avoir affaire à une oeuvre impérissable.