L'Essai
7.2
L'Essai

BD (divers) de Nicolas Debon (2015)

Tragédie communiste au fond des bois

Les Ardennes, peu après Rimbaud. L'agitation ouvrière est à son comble ; la révolution semble proche et une poignée de libertaires anarchistes ont décidé de prouver à tous que vivre libre, sans rien devoir à aucun patron est possible. Ils s'installent dans une des forêts les plus froides et pluvieuses de France, près de Nouzonville et travaillent à s'en arracher les mains.
En effet, si cette BD a bien un mérite, c'est de montrer à notre génération d'impatients consommateurs se sachant coupables d'un immense gâchis écologique et social que la vraie liberté ne s'acquiert qu'à force de labeur. Dans la colonie communiste, les travaux des champs commencent avant l'aube et ne s'arrêtent qu'une fois toutes les tâches finies, ce qui n'arrive pas une seule fois lors des premières années. Planter, construire, échafauder des plans, se serrer pour échapper au froid dans la maison commune... et lever des fonds auprès de sympathisants lorsqu'on doit "aller au médecin"...


La colonie prospère pendant quelque temps (bonheur, naissances, soleil et constructions nouvelles) mais finit vite par être rattrapée par les affres qui guettent chaque communauté humaine close et autogérée. La jalousie, la folie des grandeurs, la mégalomanie de son fondateur, les revers de fortune qui découragent... Devenez mono en colonie de vacances!


Plus sérieusement, il faut lire cette belle bande-dessinée au dessin brut lorsqu'il décrit les hommes mais fins et délicats lorsqu'il s'agit de la nature. Cette volonté intelligente de différencier les deux sujets montre bien l'art du contraste de Nicolas Debon (scénariste, dessinateur et coloriste) qui fait preuve d'une véritable intelligence dans sa manière d'aborder un sujet sensible idéologiquement.


Par exemple, une case nous montre que la colonie n'a pas été seulement pensée comme une expérience unique de vie communautaire mais a aussi servi d'élément de propagande grâce à la mise en scène photographique exagérément rustique de sa naissance... En gros, on voit un mec en peau de chèvre poser devant un trou surmonté d'un toit de fougères. De là à dire que seuls les communistes en ont une grosse, il n'y a qu'un léger pas...


Bref, à l'exception d'un manque d'ironie qui aurait pu être parfois salutaire pour lier les différentes étapes... cette œuvre est remarquablement réussie. L'auteur a choisi de montrer une tragédie communiste à portée universelle en s'effaçant derrière son sujet et sa remarque documentation... C'est un choix très sérieux que je n'oserais pas critiquer parce que le monde serait insupportable s'il n'y avait que des mecs qui s'efforcent de ne rien prendre trop au terrible comme moi.


PS : après l'excellent Ligne de fuite qui parlait de Rimbaud et des Ardennes... Va-t-on avoir droit à une troisième bande-dessinée magnifique se passant dans ce beau et sauvage département? Le climat inhospitalier et la réclusion loin du monde sont ils aussi propices que cela à la création? Affaire à suivre.

Ikkikuma
8
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le 16 mai 2015

Critique lue 394 fois

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