Datant de trente ans (bientôt quarante si on prend en compte les premières moutures de l'ouvrage, comme le rappelle Rodolphe dans son utile préface), « La Quête de l'Oiseau du Temps » est une belle réussite fondatrice de la fantasy à mages, dragons, sorciers et monstres, enracinée dans des contrées imaginaires lourdement improbables mais bien typées. On reprend les principes de Tolkien (la quête obligeant à un long parcours hérissé de périls, l'élaboration d'une géographie de contrées d'aventures, l'invention d'une mythologie et/ou d'une théologie qui procure des arguments aux différents protagonistes, objets magiques dotés de divers pouvoirs, échéance obligatoire fixée pour la fin de la quête, sous peine de fin du monde ou de triomphe définitif du Mal)), mais on ne la recopie pas. Point de hobbits, point de Gandalf, point de runes.

Ici, le propos est un peu différent. Le dessin de Loisel, semi-réaliste mais pas assez pour exiger une intrigue trop vraisemblable, contribue à une certaine allégresse de ton. Les personnages d'abord. Bragon, vieux chevalier buriné sur le déclin, inquiet de ses possibilités à maintenir son antique compétence aux armes, est à la fois le bras armé des combats rencontrés par l'équipe, et l'introducteur du lecteur dans des contrées variées et des personnages divers que son âge lui a permis du connaître. Il tend donc à désamorcer les étrangetés et les exotismes, voire les inquiétudes, que le lecteur pourrait trouver gênants s'ils duraient trop longtemps. Sa virilité paternelle ne tourne apparemment pas à l'inceste symbolique avec sa prétendue fille, Pélisse.

Pélisse concentre tous les fantasmes des personnages masculins et des lecteurs. Quinze-seize ans, rouquine flamboyante et pulpeuse, vêtue d'une robe fendue sur les côtés qui découvre à chaque instant sa plantureuse poitrine, ses cuisses et ses fesses, elle paralyse momentanément par sa seule apparition tous les mâles disponibles, le temps qu'ils ravalent leur salive et supportent l'ascension brutale de leur libido. La fausse ingénuité commune aux filles de cet âge la pousse aussi bien à s'offusquer du regard rapproché d'un admirateur sur sa poitrine (planche 16), à se demander sans naïveté apparente en quoi elle peut bien exciter les Gris-Grelets (planche 28), tout en utilisant sa nudité comme une arme dans un combat (planche 43), sachant bien qu'elle est vierge (planche 16 – cette précision n'apparaît pas dans la première version en tête de l'album, page 10). Son fouet ardent lui sert bien pour découper les créatures agressives. Cette créature de rêve, dans la lignée de la libération post-soixante-huitarde des fantasmes dessinés, constitue un élément majeur d'intérêt. Sa vraie-fausse relation de fille à père avec Bragon pimente de surcroît l'enjeu torride de sa virginité d'une éventualité incestueuse.

Bulrog, avec son masque effrayant au faciès cruel, est bien réussi en tant que guerrier un peu grand vizir auprès du sorcier Shantung, qui s'épuise à recracher ses fluides foudroyants au moyen de ses bras tendus.

Quant à Touret, curieusement affublé de lunettes de vue dans un univers plutôt primitif, on jurerait qu'il a été croqué d'après nature sur l'un des copains du dessinateur. Son côté gringalet libidineux le rend comique, et probablement est-ce lui qui sauve Pélisse dans le monde des Gris-Grelets.

En revanche, les décors sculptés et architecturaux retiennent peu l'attention. Belle tête un peu précolombienne planche 19, vue assez confuse de la cité d'Ir-Weig planche 30, sur une vignette beaucoup trop petite, pourtant qualifiée de « vue magnifique » par Pélisse ; un autel assez réussi pour l'exotisme de son ornementation planche 33. Quelques arcades verdâtres ici et là. Un beau mur cyclopéen aux moellons parfaitement ajustés, comme on en voit encore chez les descendants des Incas à Cuzco aujourd'hui (planche 39). Un vague décor de fontaine publique planche 40... Visiblement, les décors grandioses ne sont pas trop le truc de Loisel. Par contre, les couleurs et l'encrage des dessins rappellent de temps à autre le Gir de Blueberry.

Le récit parcourt un tracé plutôt obligé. Contempler les cuisses ouvertes de Pélisse (sur un pan de robe, hélas !) à la planche 1 ne nous fait pas négliger le fait qu'elle se livre fort artificiellement à une mise en place des éléments centraux de l'intrigue, en les confiant à Fourreux, charmant petit animal bleu de compagnie.

La mise en images du monde d'Akbar s'ensuit : la ferme du chevalier Bragon, à plusieurs niveaux, ne fait pas vraiment fortifiée en dépit des dangers de la jungle environnante (planches 3 et 4) ; un trivulge , monstre noir massif à deux canines hyper-larges, n'attire pas la sympathie (planches 3 à 7). Les Lopvents, entre autruche et chauve-souris au bec de tortue, sont de précieux véhicules aériens. Le monde des Gris-Grelets (pâles spectres d'allure cadavérique) permet au dessinateur de jouer sur les sortilèges de cours d'eau souterrains (planches 18 à 26). Fol, le lutin souterrain magicien (planche 21) est plutôt petit et mignon comme Fourreux, ce qui équilibre l'effrayant et l'attendrissant dans les créatures.

La magie : bien que fondatrice à la date de cet album, elle reste assez conventionnelle : la Princesse-Sorcière Mara (mère de Pélisse) transmet son message en 3D d'une manière plus ou moins holographique (planches 11 à 13).

La mythologie et la religion : là aussi, la surprise est limitée. Le vilain Ramor est un dieu révolté contre ses pairs, qui a été enfermé dans une conque marine. Mais voilà, le sort qui l'y confine va bientôt cesser. Bragon et Pélisse sont donc chargés d'aller chercher des objets qui permettent de retarder l'échéance, dont la Conque de Ramor et un certain Oiseau du Temps.

La Quête devrait être longue et variée. Faute de combattre des monstres, la mienne se limitera à regarder les cuisses de Pélisse.
khorsabad
7
Écrit par

Créée

le 22 oct. 2012

Critique lue 1.2K fois

6 j'aime

khorsabad

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

6

D'autres avis sur La Conque de Ramor - La Quête de l'oiseau du temps, tome 1

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14