Cette célèbre série de Jean-Yves Mitton déborde de combats, de sang, de sexualité; elle met en scène les Vikings, en empruntant à leur histoire réelle les éléments qui permettent de mettre en valeur son héros (Bartholomée), tout en offrant un panorama très adapté de certains traits de la civilisation Viking.

Tout ce tome 1 ne consiste qu'en une cascade d'agressions et de pillages de Vikings, sur la côte Nord-Ouest de la Gaule, avec force brutalités, décapitations, mutilations, viols, incendies, paniques des foules. Les Vikings sont dessinés en harmonie avec leur image de pillards barbares : d'énormes costauds super musclés, asservis à des appétits particulièrement primaires : vols, destructions, massacres, viols, grande bouffe et orgies alcoolisées.

Dans cet océan de fureur (au moins, le titre de l'épisode est pleinement justifié), un petit moine novice, comme par hasard très travaillé par sa puberté et les émois de l'adolescence (ben oui, on est chez Mitton), voit son monastère attaqué et détruit, et sauve sa peau comme il peut, de manière parfois très... odorante (planches 11 et 12) ou spiritueuse (planches 28 et 29), ou en travestissant son identité.

L'art de Mitton tient à l'usage qu'il fait de cet argument. L'amplification, l'exagération, l'outrance des scènes de cruauté et de massacre - bien dans la sensibilité de l'auteur - révèle d'emblée la nature de la marchandise: on est dans le saignant, un saignant d'autant plus crédible que Mitton nous offre un dessin très réaliste, plein de contrastes de couleurs et de luminosité qui accentuent encore la mobilisation émotionnelle du lecteur.

Evidemment, on reconnaît le Mitton anticlérical : quelle que soit la religion dont il est occasionnellement question (christianisme, religion des Vikings), la religion est représentée (comme d'habitude en France) par des personnages assez nettement antipathiques : vieillards desséchés et autoritaires, qu'on devine aisément fanatiques et intransigeants sur les principes à observer (planche 3); prélats grotesques et grassouillets, d'autant plus richement vêtus et ornés qu'ils sont falots, lâches, inconséquents et imbéciles (planche 32); petites fouines opportunistes et ambitieuses, ne croyant pas un instant aux discours religieux qu'ils profèrent, mais s'en servant pour se hisser vers le pouvoir en abêtissant les masses...

Les prières et psalmodies latines utilisées dans les offices religieux sont toutes authentiques, et correctement transcrites; visiblement, les trois premières planches correspondent à un office des défunts. Côté expression, on peut seulement reprocher à Mitton son emploi inadéquat du mot "séant" (qui signifie "convenable, opportun, décent") à la place de "céans" (qui signifie "ici", "maintenant"). Problème fréquent chez les auteurs de BD à prétention médiévale.

L'un des mérites de Mitton est de savoir recréer l'atmosphère de ce haut Moyen Âge : la première séquence, dans l'abbaye Saint-Joseph-du-Havre, présente un petit monastère au plan ramassé, imprudemment perché sur un rocher au bord d'une mer grise, construit en bel appareil régulier, avec colombages et une toiture présentant des tuiles paisiblement alignées. Face à l'hostilité du milieu, la faible lumière qui éclaire l'intérieur suscite une atmosphère de sécurité, d'intimité délectable, dont la suite va rapidement démontrer le côté illusoire.

Mitton magnifie son dessin au moyen d'un rendu minutieux de certains détails : crucifix sculpté (planche 5); drakkars et leurs sculptures (planches 16 et 17); vue d'ensemble sur un Rouen médiéval, avec donjons et églises à contreforts en glacis très pentus, alternant avec des portions de murs goutterots où de petites fenêtres hautes s'inscrivent dans des arcades aveugles (planche 22); écailles des armures (planche 24), ornements vestimentaires féminins (planche 35), masque de Leif Eriksonn (planche 36).

Mais la basse continue de Mitton, c'est la pulsion sexuelle; on appréciera en quoi consistent les images excitantes de l'époque pour boutonneux en chaleur (planches 5 et 6); sous les tuniques et les robes de moines, l'usage de toute culotte est proscrit (planches 4, 11, 14-15); ceinture de chasteté inopportune (planches 40 et 41); initiation sexuelle d'un puceau en public (planche 44).

Malgré le climat frisquet, l'atmosphère est donc assez chaude, et c'est parti pour six tomes au total !
khorsabad
8
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le 19 sept. 2014

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