Il s'agit du dixième et dernier tome de la série. Il contient une introduction de 10 pages écrites par Steve White, exposant le contexte des aventures de Charley Bourne en 1918, le détail de l'épidémie de grippe espagnole de 1918/1919, les derniers morts avant l'armistice, et le prix en vie humaine à l'issue de la Grande Guerre. Il y a ensuite une page de résumé succinct des précédents volumes. Les bandes dessinées de Charley se composent de 33 épisodes de 3 pages chacun, initialement parus en 1984/1985 dans le magazine "Battle Picture Weekly".


Épisodes 1 à 10 - Maintenant caporal, Charley Bourne continue de se battre en France, cette fois-ci aux côtés de l'armée des États-Unis. Il est toujours sous le commandement du capitaine Snell. Bourne est fait prisonnier par les allemands et il se retrouve dans un camp prison. Il a la surprise de découvrir que son cousin Jack est prisonnier dans le même camp. Ils sont devant un dilemme délicat : chercher à s'évader et risquer que leurs geôliers se vengent sur les prisonniers restants, ou accepter la captivité. Épisodes 11 à 16 - Charley Bourne monte une dernière fois à l'assaut sous les ordres du capitaine Snell, quelques minutes avant 11h00, l'heure de l'armistice du 11 novembre 1918.


Épisodes 17 à 32 - Le capitaine Snell a inscrit Charley Bourne comme volontaire pour se battre en Russie, l'Angleterre soutenant les Russes Blancs contre les bolcheviks. En janvier 1919, Bourne se retrouve sur le champ de bataille en plein hiver russe, avec des compagnons d'arme plus ou moins valides. À l'arrivée du printemps, il retrouve le sergent major Bill Tozer, pour essayer de capturer le colonel Spirodonov, un bolchevik, effectuant des raids à partir d'un train blindé. L'épisode 33 constitue un épilogue rapide à Londres, montrant 2 soldats démobilisés.


Le tome se termine avec 6 pages d'annotation de Pat Mills, et une postface de 4 pages écrite par Mills également.


La découverte de ce tome provoque un petit pincement au cœur, car le lecteur sait qu'il s'agit du dernier. Pat Mills explique dans la postface qu'il aurait souhaité continuer les aventures de Bourne jusque pendant la seconde guerre mondiale, mais que son éditeur n'était pas en capacité de lui allouer le budget de recherche qu'il demandait. La série a continué quelques temps sans Pat Mills, mais avec Joe Colquhoun et Scott Goodall (un nouveau scénariste).


En elle-même la lecture de ces derniers épisodes suscite différentes réactions. Pat Mills semble parfois retomber dans ses travers narratifs habituels, ici un peu aggravés : ellipses brutales, personnages caricaturaux (en particulier le capitaine Snell), et une forme de dramatisation tournée vers l'aventure grand spectacle un peu déconcertante (le train blindé). Même la séquence dans le camp de prisonniers présente des particularités qui dénotent par rapport au ton des tomes précédents : Charley et Jack particulièrement héroïques, les allemands particulièrement méchants et sadiques. Mais à bien y regarder, ces épisodes continuent de charrier des préoccupations et un point de vue très personnels.


Dans la postface, Mills explicite quelques uns de ses choix. Si le lecteur pourra s'agacer qu'il fasse lui-même l'apologie de ces épisodes, il ne pourra aussi que constater la pertinence de ses propos. Il commence par rappeler qu'à l'époque (et pour de nombreuses années par la suite) "Charley's war" fut la seule bande dessinée anglaise refusant de présenter les actions de l'Angleterre pendant la Première Guerre Mondiale, sous un jour glorieux et grandiose. Tout du long de ces 10 tomes, Mills et Colquhoun se cantonnent au point de vu du trouffion, sans porter aux nues ses actions au combat. Mills souligne à quel point ce parti pris est à l'opposé du discours officiel des gouvernements anglais successifs. Il explique qu'il a dû composer avec la nécessité de conserver un minimum d'action pour ne pas perdre le vote hebdomadaire des lecteurs de "Battle Picture Weekly", avec la conséquence très réelle de l'arrêt de la série. Il a également dû composer avec les choix des responsables éditoriaux, demandant par exemple de supprimer toute référence au racisme dans les rangs de l'armée anglaise. Malgré ce niveau de contrainte, Mills a trouvé des moyens détourné pour montrer ce genre de comportement (ici, ce sont des soldats américains qui sont racistes). Ainsi, derrière une apparence un peu moins adulte que précédemment, le lecteur découvre les conséquences de la fierté des officiers (le comportement délirant du capitaine Snell), l'engagement de l'armée britannique aux côtés des russes blancs, l'usage peu fairplay du gaz empoisonné, le rôle de conseillers militaires anglais auprès des russes blancs, et la lutte contre des ouvriers en révolte (soit la même classe sociale que celle des soldats anglais), sans oublier l'accueil réservé aux démobilisés. Finalement avec un peu de recul, ce tome est aussi chargé que les précédents, sous ses apparences plus frustes.


Un peu désorienté par la narration parfois maladroite de Mills, l'appréciation du lecteur risque de se reporter en partie sur les dessins de Colquhoun qui sont finalement comme d'habitude. Il faut là aussi prendre un peu de recul pour prendre conscience de leur qualité. Comme précédemment, Colquhoun réussit à donner une apparence différente à chaque personnage, bien qu'ils portent tous le même uniforme. Ses cases arrivent à rendre compte de la violence des combats, bien qu'étant en noir & blanc. Sans se vautrer dans les détails gore, il arrive à rendre compte de la souffrance des soldats dans le camp de prisonniers. Lorsque les combats se déroulent ailleurs que dans les tranchés, les décors s'ornent de détails réalistes, telles des tuiles posées sur un toit selon les règles de l'art, attestant du travail soigné du couvreur. Au fil des séquences le lecteur peut repérer ces détails qui ajoutent beaucoup à la plausibilité des scènes : une échelle de fortune pour monter sur le tablier d'un pont, une mitrailleuse montée sur un sidecar, l'enchevêtrement de poutrelles métalliques dans une gare, le traineau tiré par les rennes dans la neige, la lourdeur du train blindé, etc.


Colquhoun sait également donner vie aux scènes les plus improbables grâce à des mises en scène ou des angles de prise de vue adaptés. L'humour de Pat Mills n'est pas toujours très fin, mais Colquhoun arrive quand même à faire passer ce qui relève parfois plus de la grosse farce, que de l'humour noir sophistiqué (le geôlier allemand coincé dans la trappe à cause de son embonpoint). Cela donne parfois lieu à des scènes surréalistes et pourtant crédibles, tel ce soldat s'avançant sur un pont un plateau de thé à la main, ou ce pont flottant partant à la dérive.


Avec ce dixième tome, Pat Mills et Joe Cloquhoun mettent un terme aux batailles livrées par Charley Bourne pendant la première guerre mondiale. La narration de Pat Mills dans ce tome est peut être un peu plus lourde que dans les précédents, mais finalement il aborde à nouveau de nombreux thèmes sous l'angle du simple trouffion essayant de faire de son mieux. Joe Colquhoun effectue un travail toujours aussi discret et toujours aussi personnel et soigné.


En paraphrasant Pat Mills, Charley's war est une série unique en son genre qui a osé présenter la Grande Guerre sous un angle pragmatique, débarrassée de toute propagande patriotique, de toute glorification virile ou étatique. Mills estime qu'il s'agit de sa création la plus importante de sa carrière et il promet dans la postface datée de mars 2013 que la suite est en chantier. Parmi ses héritiers spirituels, il est possible de citer Garth Ennis qui au travers de ses récits de guerre a toujours à cœur de présenter le point de vue de l'individu dont la vie est en jeu sur le champ de bataille.

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le 17 juil. 2019

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