Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Ce tome fait suite à La grande guerre de Charlie, tome 4. Le scénario est de Pat Mills, et les dessins (en noir & blanc) de Joe Colquhoun. Il regroupe 27 épisodes comprenant 3 ou 4 pages couvrant la période d'avril et mai 1917. Comme dans les tomes précédents, les pages initialement en couleurs sont reproduites en couleurs (alors qu'en VO elles sont en noir & blanc). Le tome comprend également 4 pages de postface donnant des détails sur la vie des tranchées, un résumé en 1 page, et 7 pages de commentaires de Pat Mills en fin de volume.


Les 2 premiers épisodes se passent à Londres pour la fin du séjour de Charlie Bourne chez lui, et une nouvelle arnaque d'Oiley Oliver (son beau frère). Puis Charlie rejoint son unité sur le front des Flandres, au saillant d'Ypres, sous le commandement du sergent Bill Tozer. Il découvre que certains vétérans (soldats présents dès le début des hostilités) éprouvent du mépris pour les plus jeunes appelés qu'ils considèrent comme des planqués, et à qui ils le font bien sentir. Il découvre également que son unité est sous la responsabilité du Capitaine d'Arcy Snell, un anglais snob de la classe supérieure de la société, et traitant les soldats comme de la chair à canon bon marché, indigne de sa considération. Bourne va apprendre pourquoi Harry creuse des trous en cherchant Dobo dans une forêt. Pendant un temps, Bourne va faire partie des aides de camp de Snell, avec une corvée d'eau à la pompe éprouvante (sous les balles ennemies). Puis la compagnie rejoint le front proprement dit après une marche éreintante.


La postface donne le ton sur les conditions de vie des soldats dans les tranchées : de la baisse de la qualité de la nourriture au fur et à mesure de l'avancée de la guerre, à la maladie baptisée "pied de tranchée" (une maladie ulcéro-nécrotique due au gel et à l'humidité), en passant par l'omniprésence des rats, l'hygiène douteuse, et les difficultés d'approvisionnement en eau.


L'épilogue à Londres rappelle qu'il n'y a pas de limite pour abuser de la crédulité des individus, en temps de paix comme en temps de guerre. L'arnaque montée par Oiley est d'autant plus méprisable qu'elle dépouille des mères déjà dans le besoin. Pour le retour sur les champs de bataille, Pat Mills a préparé plusieurs nouveautés pour Charlie Bourne et pour les lecteurs. Ses commentaires en fin de volume évoquent les recherches qu'il a effectué à l'époque (sans internet, mais à partir de récits de témoignage devenus pour certains introuvables). C'est ainsi que le lecteur retrouve la structure qui fait la force de la narration : un mélange bien dosé entre comédie dramatique (au travers des comportements et des réactions des personnages), description de la guerre de 14-18, et répétition de l'architecture sociale.


Le lecteur retrouve donc Charlie, ainsi que 2 ou 3 de ses anciens compagnons d'armes, son sergent et le terrible capitaine Snell. Pat Mills garde bien en tête que Charlie n'est pas un héros gonflé à la testostérone et n'attendant que le combat pour montrer sa valeur. Il reste un individu courageux avec des valeurs morales solides (prêt à défendre un camarade maltraité par plus fort que lui). Mais c'est aussi un individu qui connaît la peur, la colère face au mépris et la réalité des risques encourus sur le champ de bataille. Une émotion authentique se dégage lorsque Bourne aide son sergent mal en point pendant la marche forcée, avec le risque pour ce dernier de perdre son grade. Les retrouvailles avec le cheval Warrior sont tout aussi émouvantes à leur manière.


Dans ses commentaires, Mills reconnaît que le temps a effacé en lui la certitude de l'authenticité de chaque détail ou anecdote figurant dans ces épisodes. Il est vraisemblable que la partie de cricket a été inventée de toute pièce (et encore il fallait bien occuper les longues périodes d'attente dans les lignes arrière). Par contre il est certain que l'idée de payer pour essayer d'attraper la rougeole est authentique. Quoi qu'il en soit, le lecteur a de nouveau l'impression d'être mêlé à la troupe, de saisir la nature quotidienne des dangers et de souffrir des conditions de vie aux cotés de Charlie. En outre il est facile de reconnaître les éléments historiquement authentiques (tel le passage sur la censure du courrier écrits par les soldats).


À nouveau, Mills introduit dans son récit la notion de structure de classes sociales. Il ramène le personnage de Snell, capitaine aristocrate, à la suffisance et au mépris insupportables. Comme précédemment, ce personnage semble caricatural. Mais au fil des pages, le lecteur finit par accepter qu'un représentant de la classe dirigeante puisse avoir voulu maintenir un certain standing et des privilèges au prix de risques supplémentaires pour ses soldats. Mills avait déjà rappelé dans un tome précédent les modalités brutales de maintien de la discipline au sein des troupes. Petit à petit l'attitude hautaine de Snell devient de moins en moins improbable, et de plus en plus possible. Certes Mills en a fait un individu insupportable (avec une exigence tellement déraisonnable qu'elle demande trop de crédulité de la part du lecteur, lorsqu'il exige de l'eau pour son thé), mais finalement son comportement correspond aux obligations de ses fonctions. Il est possible de finir passer outre ce personnage un peu caricatural, quand on découvre les autres rapports sociaux décrits. Mills ne limite pas cette composante à une lutte des classes réductrice entre soldats issus du prolétariat et commandement issu de l'aristocratie. Il montre également qu'au sein des troupes, ce n'est pas la franche camaraderie (en particulier entre les vétérans et les bleus). Il atteint un niveau encore supérieur dans la mise à nu des rapports dans cette image des généraux avec leur jumelle, sur une colline examinant le terrain du prochain champ de bataille. Dans le flux de la narration, cette image paisible expose l'horreur de ces prises de décision, d'envoyer les soldats au combat, et à la mort. Difficile de ne pas penser alors à ces généraux tenant littéralement la vie de leurs hommes entre leur mains décrits dans la chanson War pigs de Black Sabbath.


Cette image constitue également un bon exemple de la qualité des illustrations. Joe Colquhoun évite de dramatiser l'image avec des postures exagérées pour les généraux et un angle de vue alambiqué. Il se contente de représenter 3 hommes ordinaires dans leur uniforme (le plus vieux s'aidant dans la marche avec une canne) et fixant un point invisible à l'horizon. Cette approche pragmatique rend cette image encore plus évocatrice, plus plausible. Le scénario de Pat Mills comprend des séquences plus diverses que dans les tomes précédents, et Colquhoun semble capable de tout dessiner avec le même niveau de crédibilité et de détails. Lorsqu'il dessine la séquence de l'arnaque d'Oiley, la décoration de l'appartement (manteau de cheminée, chaises robustes et simples) donnent l'impression d'être dans un intérieur d'époque. Il est tout aussi habile à dessiner l'intérieur surchargé des abris dortoirs dans les tranchées. À nouveau Cloquhoun se révèle un dessinateur impressionnant par sa capacité à rendre compte de l'omniprésence de la boue qui colle. La scène se déroulant dans un café à coté de la gare retranscrit avec fidélité les tenues des serveurs, mais aussi la tension qui monte entre Charlie et l'un d'eux. D'une manière générale, Colquhoun dessine des expressions sur les visages réalistes, qui transcrivent les émotions des personnages. Enfin il est aussi à l'aise dans les passages humoristiques (le cuistot de Snell se vengeant en préparant un ragoût au rat) que dans les passages les plus lugubres (le champ de batailles avec des fusils plantés pour indiquer la position des cadavres).


Comme dans les tomes précédents, le lecteur peut parfois râler du fait du découpage en séquence de 3 ou 4 pages, avec une cellule de texte rappelant ce qu'il vient de lire. Mais de séquence en séquence, il se trouve transporté aux cotés de ces soldats ordinaires dans une société complexe, au milieu d'une guerre atroce et aveugle.

Presence
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 17 juil. 2019

Critique lue 44 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 44 fois

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime