Quelle saveur, quel réalisme dans le rendu de la vie quotidienne de cette famille franchouillarde et bornée ! On est dans la Sarthe, à Bazouges, un cadre très rural donc. Pour une fois, dans cette famille très basique, qui ne risque pas de donner naissance à un prix Nobel, même par accident, ce sont les vieux qui foutent le souk, et pas les jeunes. Ça change. La grand-mère rentre d’un pèlerinage à Lourdes d’où elle ramène une Vierge Marie en plastique, remplie d’eau de Lourdes ; dès son retour dans la maison familiale (celle de la fille et de son mari), gros clash avec le pépé, bloqué à mort dans son idolâtrie pour Lénine, le communisme, et toutes les vieilles haines archéologiques de la Guerre Froide (on dirait Guy Bedos, c’est vous dire !). Les affrontements des deux séniles rendent l’atmosphère familiale insupportable, d’autant que la petite fille et sa cousine font leur communion solennelle, et que les déchirements des deux décombres font désordre dans ce genre de moment.

La Sainte Vierge, placée par défi par la mémé sur le poste de télé familial, se met à pleurer des larmes de sang. Pas vraiment un hasard : page 7, le bus qui ramène la mémé passe pas loin de L’Ile-Bouchard, lieu d’une apparition de la Vierge Marie en 1947.

Le tome 2 développe le versant comique de l’intrigue, pas vraiment très évident dans le tome 1 : voir tous les habitants de Bazouges défiler devant la maison familiale pour y déposer des fleurs, comme devant une statue de la Vierge dans une église, ou s’incruster carrément dans la maison pour venir prier l’icône en plastique de leur accorder des grâces dérisoires (par exemple, l’équipe de foot locale qui, en short, vient prier pour gagner le prochain match (et en plus, ça marche !)) ; d’autres font subitement copain-copain avec la famille, espérant bénéficier de quelques éclaboussures de la présence de la Vierge. L’accident du vieux est proche de la farce, sans exclure une punition divine.

La chute de l’album, pour ironique et démystifiante qu’elle soit, ne règle pas le fond du problème : l’énigme des larmes de sang reste entier. Et les envoyés du Vatican, qui doivent enquêter sur l’éventuel miracle, ne sont pas les moins sceptiques sur le sujet.

Pascal Rabaté nous offre des dialogues in extenso, de manière à ce que nous puissions en savourer le côté populaire et les moindres nuances d’émotions. Ces dialogues, même pas très longs, sont répartis sur un assez grand nombre de vignettes : on est plus dans la « tranche de vie sociologique » que dans la grande aventure. Le malaise des parents lors du repas de famille (pages 20 à 29) est finement croqué, de même que les émotions et énervements le jour de la communion solennelle des filles (pages 37 à 46). La scène du résultat de l’analyse du sang, avec le curé et la vieille, vaut le coup. Et le retournement final de situation entre les deux vieux a quelque chose d’émouvant.

David Prudhomme s’en tient à un trait léger et simplifié, expédiant les détails sous formes de quelques hachures et tiretés jetés ici et là sans grande précision ; le dessin est plutôt du style « illustration de romans pour enfants » (voir le gosse qui joue page 19). On peut louer le réalisme de la reproduction du portrait de Staline par Picasso, planche 1 ; les physiques très alourdis de pas mal de personnages goinfres et/ou âgés : le chauffeur de bus, page 4, avec son bide en montgolfière ; le vieux qui roupille dans le bus (pages 5 et 7, avec sa lèvre inférieure en tremplin de plongeoir ; le beau-frère maniaque de sa belle caméra toute neuve (pages 34, 40 à 44, 50 à 53)... Les expressions des visages sont bien saisies.

En dépit du caractère improbable de la situation décrite, le récit se conclut sur une note sympathique, invitant à la tolérance et à relativiser les fanatismes.
khorsabad
8
Écrit par

Créée

le 13 janv. 2014

Critique lue 307 fois

khorsabad

Écrit par

Critique lue 307 fois

D'autres avis sur La Marie en plastique - Intégrale

La Marie en plastique - Intégrale
khorsabad
8

Miracle chez les ploucs

Quelle saveur, quel réalisme dans le rendu de la vie quotidienne de cette famille franchouillarde et bornée ! On est dans la Sarthe, à Bazouges, un cadre très rural donc. Pour une fois, dans cette...

le 13 janv. 2014

La Marie en plastique - Intégrale
litout
8

Critique de La Marie en plastique - Intégrale par litout

Pascal Rabaté a l'art de croquer la France d'en bas. La France populaire, avec ses défauts et son esprit inimitable. Cette fois, sa « Marie en plastique » est dessinée par un David Prudhomme...

le 23 févr. 2011

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14