Tsukasa Hojo et le milieu du XXe siècle

Par exception, un recueil de trois histoires dramatiques par Tsukasa Hojo. La première histoire "Aux confins du ciel" avec son sous-titre "Dans la tourmente de la guerre" est de loin la plus insupportablement déchirante. Elle raconte le fait historique des aviateurs se sacrifiant pour la patrie à la fin de la guerre. Au Japon, l'expression "kamikaze" qui signifie "vent divin" désigne les vents de tempête qui ont empêché la deuxième tentative d'invasion mongole de l'archipel à la fin du XIIIe siècle. En 45, les Etats-Unis se préparent à envahir le Japon et les tempêtes n'y feront rien. L'expression "kamikaze" est reprise, mais pour désigner des aviateurs sommés de se faire hara-kiri. Les avions chargés d'explosifs doivent s'abattre sur les bateaux. Et comment espérer un "happy end" quand on choisit un sujet pareil ? Même pour Tsukasa Hojo, c'était impossible. On assiste donc au drame terrible de l'inéluctable, mais dans cette peinture Tsukasa Hojo précise encore deux ingrédients historiques terribles. Nous avons une famille japonaise où le père est malade, alité, et les deux fils tour à tour sont enrôlés parmi les aviateurs militaires. La première touche est celle de l'orgueil national du Japon en guerre à l'époque. Refuser de se battre contre l'ennemi, c'est être un antipatriote et les gens se jugeaient entre eux sur ce point. Malgré leurs exploits d'aviateurs, les deux frères, surtout le cadet dont on suit de plus près l'histoire, essuient des calomnies sur le compte de leur père : la rumeur veut qu'il fasse semblant d'être malade. Malgré leur bravoure et leur présence à la guerre, les deux fils subissent les brimades. Ceci va renforcer le désir de prouver qu'on peut se sacrifier pour la patrie. Rappelons que même avoir été prisonniers de l'ennemi c'était une mort sociale au Japon, une honte sans nom. C'est pour cela que les japonais vaincus et pris dans le film **The Thin red line* sont montrés dans un tel état de prostration désespérée. L'autre ingrédient historique tragique, c'est que Tsukasa Hojo rappelle qu'après plusieurs années de guerre le pays forme en catastrophe de nouvelles recrues parmi les plus jeunes et que c'est parmi eux qu'on sélectionne les gens appelés à se suicider pour le pays. Le frère cadet de l'histoire n'a que 17 ans, et il part vers une mort programmée. On assiste à l'impuissance de la famille autour de cette destinée irréparable. Une histoire d'amour est brisée, une famille s'éteint et une femme se retrouve seule pour cultiver les champs. Mais tout cela est traversé par un reste de force transcendante, Junpei avait le désir de voler, et la libellule dans le ciel face aux nuages donne un peu de soulagement de vie à la mémoire douloureuse.
Le second récit, très peu séparé du précédent au plan de la pagination dans l'édition Ki-Oon, pourtant très belle, donne son titre à l'ouvrage "La Mélodie de Jenny". Il s'agit à nouveau d'un récit sur la Seconde Guerre Mondiale au Japon, mais elle introduit un personnage occidental David Borgman (l'homme de la montagne si on traduit) au milieu d'enfants japonais, orphelins qui s'ignorent.
Là encore, le récit se fonde sur des arguments historiques dont nous avons généralement peu conscience. En vue de l'invasion du Japon, les américains ne bombardent pas que Nagasaki ou Hiroshima à l'aide d'armes nucléaires, ils bombardent aussi les différentes villes et notamment la capitale Tokyo. Or, depuis 1944, les japonais ont anticipé les événements en faisant partir les enfants tokyoïtes dans des camps plutôt en campagne. Seuls les parents demeurent à Tokyo. C'est un moyen de préserver la jeunesse. Cela fait un étrange écho avec l'histoire précédente où à l'inverse des enfants de 17 ans étaient sacrifiés et forcés au suicide. Mais, ces camps, idéalisés par les récits de propagande dans la presse, sont en fait des cauchemars pour les enfants. Plusieurs adultes détournent à leur profit la nourriture des enfants, les font travailleurs aux champs comme de la main d'oeuvre gratuite, et puis ces quantités d'enfants ne sont pas surveillées et les plus faibles sont livrés aux plus féroces qui font du racket, maltraitent leurs camarades, etc.
Le récit de Hojo va mêler deux évasions. Un américain marié à une japonaise avant le conflit a été mis dans un camp en tant qu'espion. Ses six compagnons d'évasion se font tuer, mais lui parvient à disparaître dans la Nature. Au même moment, quatre enfants s'enfuient dans un camp pour les jeunes en cherchant à retrouver leurs parents à Tokyo. Leur orientation n'est pas des plus fiables, mais s'ils retrouvent la voie ferrée ils auront un chemin tout tracé. L'évadé occidental va mettre ses pieds dans le trajet suivi par les quatre enfants, et comme il a une fille d'une femme japonaise qu'il veut retrouver et que les quatre enfants sont en détresse il parvient à s'associer à eux pour les aider. Mais la guerre va aussi vite que leur marche de plusieurs jours dans la campagne et quand ils arrivent à Tokyo cela tourne au drame. Les enfants avaient été éloignés de la capitale en prévision d'un bombardement, le bombardement arrive et excédées la population aura besoin d'un exutoire à sa colère. Mais cinquante ans après il reste l'air de flûte que l'américain a enseigné à un des quatre orphelins japonais, et puis Jenny Borgman qui n'aura qu'un air de musique pour raviver le souvenir de son père.
Le dernier récit se déroule aux Etats-Unis en 1935, ce n'est pas exactement le cadre de la Seconde Guerre Mondiale, mais on s'y prépare. Les relations entre l'Amérique et le Japon sont de plus en plus tendues, et la communauté japonaise immigrée souffre de brimades. Parmi les personnages principaux, il y a des américains, une immigrée japonaise qui s'identifie à une américaine puisqu'elle en a la nationalité, et enfin un joueur de base-ball exceptionnel qui fait un séjour en Amérique, mais qui n'est pas américain, qui est japonais. Ce joueur japonais, qui a choisi le base-ball, est attiré par le rêve américain (la formule est en anglais dans la VF de Ki-Oon), mais il veut aider sa famille en lui envoyant de l'argent et reste fier d'être japonais. Avec son rôle d'interprète, You est amoureuse de lui. Tout serait si simple s'il acceptait un juteux contrat pour jouer dans une équipe du pays, mais l'argument historique et dramatique c'est que comme les relations sont tendues entre les pays, c'est qu'outre le racisme ambiant, le climat délétère, il est interdit à un non-américain d'envoyer de l'argent à sa famille. L'histoire est dramatique, l'amour est impossible, la conclusion sera que les personnages auront réalisé leur rêve dans le monde de l'après-guerre, cinquante après par exemple. Mais dans le traitement du récit, on a aussi une montée un peu naïve de l'admiration du joueur japonais pour l'american dream puis une révélation progressive de l'envers du décor.
En résumé, par le réalisme, leur rapport à l'histoire et leurs cheminements dramatiques, et malgré des scènes d'humour, ces trois récits sont à part dans la production de Tsukasa Hojo et cela reste des histoires de bonne factures bien conduites avec les deux premières qui sont plus particulièrement prenantes, émouvantes. La mise en page et les dessins sont toujours de haute qualité avec sans doute moins d'effets expressifs caractérisés que dans les autres mangas de l'auteur, mais même si c'est plus discret il y aurait des choses à commenter sur l'esthétique remarquable des trois récits.

davidson
7
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le 1 nov. 2020

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