Bon, la série se termine là. Enfin, « se termine », c’est une façon de parler. « Le Vent des Dieux », lui aussi, « se terminait » sur une situation... qui pouvait prolonger l’action indéfiniment. Mais enfin, on est soulagé. Le bric-à-brac conceptuel de ces mondes de rêves (ou de réalité ?) qui se font et se défont à volonté est beaucoup moins captivant que son équivalent d’ « Alice au Pays des Merveilles ». La loi de ce monde semble toujours la même : on arrive à matérialiser une situation si on la pense assez fort. On en trouvera quelques beaux exemples dans l’album, parfois facétieux.

Mais, comme l’enjeu semblait être de parvenir à dix volumes, Cothias ne sait plus où trouver de l’inspiration pour prolonger cet affrontement interminable entre le Prince de Mortelune et le Duc Malik , le premier étant un personnage en quête pathétique d’une rédemption pour toutes ses perversions et ses vices passés, et le deuxième étant définitivement bloqué dans son rôle de Mal Absolu, de bloc de haine sadique et meurtrière dont il ne sait aucunement se départir. Avec d’autant moins de motifs que les enjeux originels de la série (la jeunesse éternelle, et la magouille « eau contre pétrole » (ce qui devrait nous rappeler quelque chose en rapport avec une région du monde où les Ducs Malik pullulent)) sont depuis longtemps jetés dans les poubelles de l’Histoire.

Alors, Cothias s’en va piller Lovecraft, en sabotant consciencieusement les effets de terreur abjecte dont le Maître de Providence a le secret, car le Monde Lovecraftien du Rêve vu par Cothias se résume à une simple vitrine des noms – et parfois des formes – contenus dans les écrits du grand Créateur de Mythes. On fait dans la liste, sèche et quasi nostalgique, des monstres inventés par Lovecraft. Rien que dans la planche 1, neuf noms s’enchaînent en litanie, et les dessins supposés illustrer cette énumération ne nous montrent guère que des humanoïdes aux tronches bizarres, parfois rigolotes, et qui ne suscitent aucun sentiment d’horreur (trahison !) ; on est plutôt dans la caricature loufoque et familiale style « Star Wars », ou encore « Valérian et Laureline ».
Évidemment, puisque le Duc Malik a forcément pris un billet de train, lui aussi, dans le monde lovecraftien, on devine qu’il ne figure parmi les insignifiants ; mais, là aussi, Cothias, loin de nous ménager quelque horreur digne du Maître, se contente de nous coller un géant en armure à trompe d’éléphant, pas plus inquiétant qu’un alien de comics, et bousille d’un coup toutes ses cartouches de nostalgie lovecraftienne en l’affublant successivement, en deux planches seulement, de tous les noms des dieux majeurs qui rendent fous issus du Mythe ; et ce, tandis que les « Maigres Bêtes de la Nuit », sortes de chauve-souris grassouillettes à l’air navré, baragouinent lamentablement quelques bredouillis du langage terrifiant des Grands Anciens. Quant aux chats d’Ulthar, ils font plutôt chattes à nichons assez glabres sauf leurs ailes, histoire de montrer un peu de culs nus, dans une série qui nous avait habitués à plus de générosité en ce domaine. Et Yog-Sothoth est carrément ridiculisé (planches 18 et 19).

Enfin, à bout de souffle, ne sachant visiblement plus qui aller pomper pour remplir ses pages de scénario, Cothias se plagie lui-même : sous prétexte de remettre le temps à zéro et de redonner une nouvelle chance au Prince de Mortelune, Cothias nous ressort, dans toute la deuxième moitié de l’album, des images extraites des tomes précédents, peu ou pas modifiées en fonction du destin de Jérôme, qu’il faut bien infléchir ! Cette reprise-répétition fait l’effet d’un disque rayé bon à jeter.

Dans l’action et dans les personnages, on peut s’attendre à tout, c’est sûr, mais Goliath s’améliore : le visage moins souvent caricatural, et puis, grandir à volonté, c’est sûr que ça arrange un nain ! Violhaine juge bon de prêter son apparence au « bébé-miracle » qui change d’aspect à volonté, et le Prince de Mortelune évolue lentement vers une configuration plus sympathique, ce qui marque enfin la rédemption attendue.

On ne dévoilera pas ce qu’est devenu Nicolas ; là aussi, on est proche de la comédie d’abord, avant de passer à une identification plus « psycho-mystique » en finale. Quant à la Terre et son état, ses problèmes d’eau et d’énergie, ses blêmes, ses ruines et son dénuement, on ne peut pas dire que les choses s’améliorent beaucoup. On adhèrera plus volontiers à ce pessimisme foncier, ô combien proche de notre réalité, plutôt qu’aux métamorphoses oniriques invraisemblables des rêveurs, dont même les pouvoirs ne sont pas fiables.

Adamov a eu la patience de redessiner quasi à l’identique des planches déjà présentes dans des volumes antérieurs. La beauté de ses images est telle qu’il se montre fort timide et inefficace pour représenter l’horreur lovecraftienne.

Plus tard, il travaillera avec d’autres scénaristes. Inutile de se demander pourquoi.
khorsabad
4
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le 20 déc. 2014

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