"Aria" est une série de bandes dessinées due à Michel Weyland (et à son épouse, Nadine). Elaborée en 1979-1980 pour apparaître en publications hebdomadaires dans le périodique "Tintin. Le Journal des Jeunes de 7 à 77 ans", Aria est une jeune femme sexy qui vit dans un monde d'heroic fantasy féérique, sans ancrage historique ni géographique réaliste.


Le personnage d'Aria a émergé lors de la première vague de féminisation et d'érotisation des séries dessinées de l'hebdomadaire "Tintin". Conçu avant tout pour un public de garçons pré- et post-pubertaires, "Tintin" s'en tenait jusque là, pour l'essentiel, à des héros masculins, si l'on excepte l'antique "Line" (Paul Cuvelier et Greg), la Maggy de Teddy (François Craenhals), et des personnages non réalistes (Prudence Petitpas, de Maréchal).


Bouleversé par le vacarme de la révolution sexuelle soixante-huitarde, et les assauts du féminisme de l'époque, "Tintin" a dû introduire une dose d'héroïnes féminines plus ou moins innocentes dans ces années qui suivent mai 1968. Opération délicate : s'adresser au versant post-pubère du lectorat sans effaroucher les pré-pubères. Jean-Luc Vernal, ce rêveur discret qui a dirigé en finale l'hebdomadaire "Tintin" entre 1979 et 1988 (et l'a mené à sa chute sans retour), avait encouragé le mouvement, avec des séries comme "Jugurtha" ou "Brelan de Dames".


Aria, donc, présente cet intérêt de surfer à la fois sur la vague féministe, une problématique sexuelle réelle mais soigneusement bridée pour ne pas faire peur aux petits enfants, et sur le New Age naissant qui, lui, s'est bien développé jusqu'à nos jours.


Car le monde d'Aria déborde d'éléments "New Age" : cette prédilection pour la féérie, la magie douce, les références aux anciennes traditions occultes les plus en vogue en France à l'époque. "La Septième Porte" déborde de ces notations symboliques et oniriques tirées de bric et de broc, mais qui ont aujourd'hui beaucoup de succès dans un public surtout féminin très porté sur la "spiritualité", l' "évolution" et la "purification" personnelles, sur fond d'initiations à répétitions et de visions merveilleuses.


Le féminin sacré, par exemple. Ici, Aria fait équipe avec Arcane (référence au Tarot), une fillette assez sauvage mais habile magicienne, qui peut transférer des pouvoirs magiques de guérison (thérapeutiques énergétiques très à la mode encore aujourd'hui) en dessinant de jolis motifs décoratifs sur la personne qui reçoit les pouvoirs, ou qui doit être guérie (référence au chamanisme, aux guérisseurs, aux magnétiseurs, etc.). L'essentiel de la magie circule entre la petite sauvageonne et Aria, et pas un homme ne reçoit une parcelle de ces pouvoirs.


Les symboles traditionnels écument le récit : motif initiatique du franchissement de sept portes successives (symbolique des sept cieux, entre bien d'autres choses); incantation magique comportant des mots tirés plus ou moins de la mystique hindoue (planche 3); lecture-voyance dans les feuilles (planches 4, 20), télépathie (planches 5 et 14); importance du coeur et des sensations vibratoires dans l'initiation (planches 22, 23, 25,27); forêt souterraine de cristal, importance des cristaux en tant que matériau intelligent, bienveillant et sensible (planche 26); globe mystique du Soi (planches 28 à 30)...


Le sens graphique de Michel Weyland est particulièrement sûr : il excelle à créer des uniformes guerriers aux formes étonnantes (planches 8 et 9), des décors d'une perfection onirique quasi mystique (planche 24). Les menaces qui pèsent sur Aria et sur ses amis sont assez régulièrement atténuées, pour offrir plus aisément des portes de sortie et faire rebondir l'action plus vite : ainsi, la redoutable torture à laquelle Aria va être soumise consiste finalement à la gaver de foie gras et de bière (planche 17) : on a vu pire, comme sévices.


Aria, héroïne solaire, guerrière et féminine, porte cette part d'érotisme qui contribue à matérialiser l'Anima jungienne dans l'esprit du lecteur. Weyland la revêt ordinairement d'une mini-tunique qui a dû faire fantasmer plus d'un boutonneux. Mais la gentillesse et l'ancrage mystico-féérique de l'ensemble déporte l'ensemble de la série davantage vers le New Age que vers les sempiternels combats-dragons-orques et nains de la fantasy masculine.

khorsabad
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le 5 août 2015

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