La petite ceinture dont il est question ici, c'est la voie de chemin de fer qui entoura Paris à partir de la fin du Second Empire et qui fonctionna pour les voyageurs jusqu'en 1934 et pour le fret jusqu'au début des années 90. Notre histoire se place sans doute au début des années 80, alors que la plupart des voies sont désaffectées. Une jeune fille, Naïma, en a fait le lieu de ses déambulations, un refuge face à la dureté de la société.

Pas facile en effet d'être une fille d'immigrés algériens dans ces années 80 où montent le chômage et la misère, et où se perpétue un racisme post-colonial. Pas facile d'être une fille quand les hommes ne pensent qu'au sexe, pas facile de trouver sa place en famille, quand les parents veulent vous marier, quand vos frères trafiquent. Pas facile de ne pas être vue que comme une Arabe.

Christin et Goetzinger nous décrivent une fille qui résiste comme elle peut, avec sa tchatche et son argot bien maîtrisé, une femme libre, avec ses rêves, qui marche inlassablement, mais sans trop savoir vers quelle direction.

On a donc là une BD résolument féministe, mais aussi antiraciste, comme c'est d'ailleurs annoncé en exergue de l'album : « affirmer une France en arc-en-ciel » : une BD qui montre la difficulté d'être un enfant d'immigré en France : lorsque Djemal, le frère de Naïma est expulsé et qu'il retourne en Algérie, il ne s'y plaît pas du tout et y est même rejeté. Ce n'est pas un Algérien. Mais en France, face au racisme, les enfants d'immigrés, même s'ils sont pour la plupart Français, ne sont pas considérés comme tels mais comme des étrangers... D'où le problème identitaire de nombreux enfants ou arrière-petits enfants d'immigrés, qui ne sont plus nécessairement de la nationalité de leurs aïeux, mais qui ne sont pas non plus acceptés comme français, alors qu'ils ont les papiers... Où l'on voit que pour qu'il y ait intégration, il faut bien sûr un effort de l'individu, mais il faut surtout que la société accueille les bras ouverts les nouveaux-venus ou les enfants de ceux-ci. L'intégration se fait toujours dans deux sens. Vous arrivez dans un groupe, vous devez bien sûr faire des efforts, mais il faut surtout que le groupe vous accepte... J'ai un peu dérivé dans ma critique, mais la BD pose une question qu'on n'a toujours pas résolue plus de vingt ans après, et qui, à mon avis, fait honte à notre pays.

Une BD qui montre, à travers la petite ceinture, ce qui reste d'une France du passé, et avec Naïma, le futur qu'elle n'arrive pas à inventer.

Une BD qui évoque donc des thèmes intéressants et encore d'actualité mais qui ne les traite pas en profondeur, du fait d'une histoire superficielle. Le scenario, intéressant quand il fait des aller-retour entre le passé et le présent de Naïma, tourne un peu en rond et n'exploite pas assez la question des relations avec ses frères, par exemple, et la fin ne résout rien : la boucle est bouclée, sans l'être vraiment, si j'ose dire (vous comprendrez en lisant la BD).

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le 6 juil. 2011

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socrate

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