Cette adaptation pourrait en quelque sorte s’envisager comme la continuité d’ « Il fallait que je vous le dise », précédent opus d’Aude Mermilliod paru en 2019. L’un comme l’autre évoquent des questions touchant plus particulièrement les femmes. Ce dernier était un documentaire traitant de l’avortement à travers l’expérience de l’autrice elle-même, expérience qu’elle s’efforçait de décrire à son médecin. « Le Chœur des femmes », qui pour sa part prend la forme d’une fiction, se déroule dans le service de gynécologie d’un hôpital. Dans son album précédent, le médecin en question se prénommait Martin Winckler, et n’était autre que l’auteur du roman dont est tirée l’adaptation ici présente.


Ce sont deux axes narratifs entremêlés qui traversent les quelque 230 pages du livre : le premier, nourri de plusieurs témoignages (qu’on imagine authentiques) de femmes liés à leurs problèmes et questionnements intimes ; le second, centré autour de Jean Atwood, cette jeune femme brillante à la forte personnalité dont le but est de faire carrière dans la chirurgie gynécologique. Surplombant l’ensemble de sa stature de grand sage, le docteur Karma (eh oui…) va dans un premier temps jouer le rôle de contradicteur face à une Jean impatiente, bardée des certitudes qu’on lui a enseignées dans son école, tandis que le flegme imperturbable du docteur ne fait que renforcer sa colère et son énervement. Mais les réactions épidermiques de la jeune femme vont bientôt s’épuiser à force de se cogner à une réalité qu’elle ne veut pas voir, et son expérience aux côtés du gynécologue va se transformer en parcours initiatique… avec en guise de Graal une révélation sur son propre passé qui changera tout son être et son état d’esprit…


La partie « documentaire » est particulièrement intéressante, et pas seulement pour le public féminin, car à travers ce gynécologue, le sujet porte sur une approche révolutionnaire et rafraîchissante de la médecine en général, de la sexualité et du genre aussi, basée sur l’empathie et l’écoute du patient, loin des corporatismes. Une approche qui remet en cause certaines pratiques gynécologiques abusives car douloureuses qui aujourd’hui ne devraient plus avoir court. Une sorte de suite assez logique de l’autre best-seller de Winckler, « La Maladie de Sachs »… La partie « fiction », un brin capillotractée, recèle toutefois ses charmes, notamment avec le personnage de Jean Atwood, dont les colères et l’entêtement face au docteur Karma agacent au début, mais finira par devenir attachant, au fur et à mesure que l’on percera les causes de son courroux. Les retrouvailles avec le père et les confessions qui s’ensuivent constituent un des meilleurs moments du récit. Les épreuves de la vie passée sont transcendées par une narration reprenant les codes du conte de fées. C’est formidablement bien vu et d’une tendresse extraordinaire.


Dans une mise en page assez libre et variée, Aude Mermilliod utilise à bon escient sa ligne claire pour aller à l’essentiel et ajouter du dynamisme au récit. « Le Chœur des femmes » s’avère donc une adaptation réussie, les premières pages dissipant assez rapidement les craintes vis-à-vis d’un sujet sérieux et potentiellement pesant, grâce notamment à l’humour construit sur le « caractère de cochon » et la forte personnalité de Jean Atwood. Globalement, c’est un album tout à fait dans le ton de l’époque, à la fois surprenant, vivifiant et inspirant.

LaurentProudhon
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le 5 nov. 2021

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