Ce n'est un secret pour personne les croyances et le folklore japonais sont extrêmement riches. Ces derniers se sont estompés avec le temps, mais des auteurs comme Shigeru MIZUKI ont su remettre à jour les Tengu sur le devant de la scène. De nos jours ces créatures ont disparu, et si elles se cachaient toujours parmi les hommes et les oiseaux ? C'est au tour de Iô KURODA d'apporter sa pierre à l'édifice.


Les Tengu ont une apparence proche de celle du volatile, ils sont souvent représentés sous forme anthropomorphique avec un bec ou un grand nez. Protecteurs des montagnes, ils étaient vénérés et craints comme des divinités. Ici ils vivent au ban de la société, ils se cachent, font les poubelles pour se nourrir et évitent leurs ennemis mortels : les chats.


Ces êtres surnaturels peuvent se mouvoir sous forme d'oiseaux (proche du corbeau), ou ils prennent possession d'un corps humain. Vivant dans l'ombre, ils ne sont plus très nombreux et ils sont bientôt condamnés à disparaître. C'est dans ce contexte que nous découvrons leurs situations.


Le début de l'œuvre est très accrocheur, le mangaka nous déploie mystérieusement son histoire. De façon habille il nous fait découvrir les Tengu, leurs pouvoirs et leurs aspirations. L'aspect minoritaire et secrète de ce groupe ajoute une part d'ésotérisme à l'œuvre.


Au travers des différents personnages, nous découvrons comment cette communauté, dirigé par « le maître » se compose. Âgé de plusieurs centaines d’années, il est en quête d’existentialisme, souhaitant redonner les lettres de noblesse de son peuple, il refuse de s'adapter à la société humaine. Prônant la liberté, il empêche ses disciples de vivre comme des Hommes et souhaite reprendre le dessus sur les humains.
Il veut retrouver sa fierté et il cherche à faire valoir ses droits par tous les moyens quitte à utiliser la force. Convaincu d'être supérieur aux humains il se place au-dessus d'eux tel une divinité, au lieu d’essayer de cohabiter. Pourtant est-il toujours légitime dans cette nouvelle société ? Est-ce qu'il suit le bon idéal et le bon combat ? Et comment pourra-t-il parvenir à se replacer au-dessus de la hiérarchie humaine?


Ses disciples sont plus réservés sur la question, souvent arrachés à leur vie humaine, ils subissent cette vie de paria. Ils auront leurs aspirations personnelles et suivront leurs propres vérités. Du fait de leurs jeunes âges, ils seront préoccupés par leur quête identitaire personnelle. Notamment Shinobu, déracinée de sa vie humaine et remplacée par une poupée de boue à son plus jeune âge.
Ses pouvoirs de Tengu ne se sont pas encore révélés et elle mène une vie d'errance sans réel but. Tout en rejetant sa condition, elle cherche à comprendre qui elle est vraiment, quelle est sa place et s’il est possible qu’elle retrouve sa vie d'avant. Finalement dans cette introspection, nous en arrivons à nous demander si inconsciemment elle ne recherche pas la même liberté que les Tengu d'autrefois?


Au travers d'une dizaine de personnages, l'auteur réussit à décrire différentes façons de penser ajoutant plus de consistance et de nuances sur les questionnements immiscés tout le long de l'histoire. Certains protagonistes n'hésitent pas à se rebeller si le besoin s'en ressent et d'autres viendront bouleverser les plans et la vision du maître, créant autant de vérité que de personnages.


Ces propos rendent l'œuvre prenante mais il est difficile de se repérer en tant que lecteur, il est ardu par moments de comprendre cet imbroglio. Les personnages ne sont pas clairement introduit et l'enchaînement brouillon des situations posent plus de questions qu’il n'apporte de réponses. Les changements de lieu et les scènes d’action manquent de clarté et de fluidités. Les enjeux sont flous et les personnages assez ressemblants. Cette narration difficile et décousue ne rend pas service à l'histoire et fera certainement décocher bon nombre de lecteurs.


Pourtant le récit retient notre attention, au fil des tomes on s'adapte et on réussit à apprécier l'œuvre. L'évolution du scénario et les thèmes abordés sont intéressants, mais le manga demandera une implication du lecteur et certainement une seconde relecture.


Un autre point qui rend ce récit si atypique c'est sa forme. Tel un conte moderne, le trait appliqué par l'auteur est très épais. Ici pas de trame, tout est fait à la main même les effets d'ombres. Le fond des cases est noir ou blanc jouant ainsi sur l'intensité d'une scène qui peut être pesante, intense, sombre, onirique ou magique. Les angles de vue utilisés sont recherchés et innovants, pour exemple il utilisera des reflets dans une bouteille ou exagèrera des scènes en plongée ou contre plongée.


Le rendu final peut paraître très chargé et la déformation de certaines cases couplées à des planches qui fourmillent de détails donne parfois l’impression d'être dans un autre monde. Ce côté "brouillon" est aussi un des points qui peuvent gêner la lecture car certains passages sont complexes à comprendre. Le dessin est à la fois un point fort par son identité et un point faible par son rendu.


C'est à travers leur label d'auteur indépendant Sakka, que les Éditons Casterman ont publié ce récit en 4 volumes. L'édition est en grand format (env. 15x21cm) avec une jaquette amovible. Comme à son habitude l'édition est de très bonne qualité avec un papier blanc, une impression sans défaut et des pages épaisses. Une biographie rapide de l'auteur conclut chaque volume. Cette collection ne présente pas de dossier ou d’interview de l’auteur et c'est fortement dommage.


Conclusion :
Au travers de ce manga, l'auteur révise l'univers des Tengu en les transposant dans notre réalité moderne. Redécouvrir les pouvoirs de ces êtres et s'imaginer comment ils pourraient s'adapter dans notre monde est une excellente surprise. De plus le dessin atypique renforce l’imaginaire du titre. Toutefois il demandera au lecteur une implication particulière pour en apprécier toute sa saveur.

darkjuju
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le 4 déc. 2020

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