Ce tome fait à suite à DMZ tome 1 (épisodes 1 à 5). Il contient les épisodes 6 à 12, initialement parus en 2006, écrits par Brian Wood, dessinés et encrés par Riccardo Burchielli, et mis en couleurs par Jeromy Cox, pour les épisodes 6 à 10. Brian Wood dessine 3 ou 4 pages par épisodes. L'épisode 11 a été dessiné et encré par Kristian Donaldson. L'épisode 12 a été entièrement dessiné et encré par Brian Wood. Les couvertures sont réalisées par Brian Wood. Ces épisodes ont été réédités dans DMZ intégrale Tome 1 (épisodes 1 à 12).


Épisodes 6 à 10 - C'est l'été à Manhattan et la température est particulièrement élevée. Une distribution d'eau est organisée dans la rue, mais une bombe explose tuant tous les habitants présents. Au vu de la gravité de l'attentat, l'armée des États-Unis décide d'intervenir sur place. Dans un autre quartier un tireur d'élite a abattu six militaires à Staten Island. L'armée évoque également une explosion sale au pied de la Statue de la Liberté. Matty Roth contemple les restes du camion de distribution d'eau encore en flammes, alors que son téléphone de liaison avec la chaîne Liberty News se met à sonner Il le jette au loin dans une canalisation ouverte charriant des eaux usées. Il se prend la tête entre les mains. Quelques minutes plus tard, il va repêcher son téléphone dans les eaux immondes. Il rentre chez lui et contacte la chaîne Liberty News qui lui réclame un reportage dans un délai très court. Un peu plus tard, il est contacté par les représentants de l'armée des États Libres (Free States Armies). Ils viennent le chercher et l'emmène de l'autre côté de la rivière. Ils ont un journaliste en otage et vont s'en servir pour négocier.


Matty Roth s'est donc installé à Manhattan, territoire démilitarisé servant de zone tampon entre le gouvernement des États-Unis, et le gouvernement des États Libres. Le seul fait qu'il soit journaliste pour une chaîne du dehors fait de lui un individu crucial dans l'équilibre des pouvoirs. Il se retrouve donc impliqué dans des opérations effectuées par soit les États-Unis, soit les États Libres. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que les uns comme les autres voient en lui un pion qui peut être manipulé, utilisé, instrumentalisé. Brian Wood sait ne pas noyer le lecteur sous un flot d'informations, et il prend bien soin de rester à un niveau humain. Matty Roth reste donc le centre d'attention quasi exclusif, pratiquement présent dans toutes les séquences. Il est nouveau dans ce territoire démilitarisé et le lecteur apprend par ces yeux de novice. Matty Roth perçoit inconsciemment qu'il est instrumentalisé et se défend de son mieux. Mais il doit faire face à d'autres priorités comme sa santé (une sorte de tourista aggravée), et être témoin de morts idiotes, dénuées de raison.


Riccardo Burchielli continue d'impressionner le lecteur en réalisant des planches qui donnent l'impression de véritablement se trouver à Manhattan, alors même que l'artiste n'y a encore jamais mis les pieds. Le lecteur retrouve bien l'urbanisme spécifique de ce quartier : les larges artères, les gratte-ciels, quelques façades d'immeubles identifiables, quelques vues touristiques. En cohérence avec la période de l'année, Jeromy Cox continue d'utiliser une palette de couleurs chaudes, parfois un peu vives. Enfin les décors sont représentés de manière très régulière, quasiment à toutes les pages. Le lecteur éprouve donc une sensation entre tourisme (grâce aux photographies de référence envoyées par Wood au dessinateur) et images de journal télévisée avec les impacts de balle, de mortier ou de bombe. De temps à autre, il peut voir comment les habitants ont récupéré et rafistolé des véhicules ou des objets du quotidien. Il est également visible de ci de là que les services de maintenance ne sont plus opérationnels, à commencer par ceux de la municipalité. À d'autres moments, le lecteur peut constater de visu que les habitants ont su faire preuve de débrouillardise et d'inventivité pour pallier le manque d'approvisionnement en objets du quotidien. À la demande du scénariste, le dessinateur reste dans un registre très proche de la réalité, sans intégrer d'éléments d'anticipation ou de technologie futuriste. La seule exception concerne le matériel de reporter de Matty Roth, parfois franchement bricolé (en particulier pour être indétectable), parfois un peu plus avancé (en particulier celui fourni par l'armée).


Riccardo Burchielli continue de donner une gueule à ses personnages. Parfois, un visage évoque la manière de dessiner d'Eduardo Risso, les aplats de noir en moins. Le lecteur ne peut pas s'empêcher de remarquer, par exemple, la dame obèse en bikini qui attend pour récupérer de l'eau. Il regarde les grimaces sur le visage de Matty Roth qui souffre d'une infection, ou quand il ressent des sentiments intenses. Il apprécie la variété des visages et des tenues des personnages qu'ils soient de premier plan ou de simples figurants. Il note que la direction d'acteurs comporte une petite touche d'emphase pour mieux faire passer les états d'esprit, tout en restant dans un registre normal. Le dessinateur sait également donner la sensation de mouvement, que ce soit pour les véhicules ou pour les personnages en train de courir. À plusieurs reprises, le lecteur est frappé par une situation rendue visuellement mémorable : le petit groupe d'individus faisant la queue pour acheter de l'eau stérile, Matty Roth se faisant enlever en pleine et mettre un sac sur la tête par un groupe d'individus très professionnels, Eve Lindon passant en revue le matériel étalé sur une table, qu'elle confie à Roth, Zee Hernandez affalée dans son fauteuil, Roth hurlant sur un toit désert sous un soleil de plomb, le sourire de Kelly Connolly, etc.


Alors qu'il continue à découvrir son environnement, Matty Roth sert d'intermédiaire dans les négociations pour délivrer un journaliste retenu en otage par l'armée des États Libres. Bien sûr personne ne joue franc jeu, et Matty Roth s'interroge sur ce qu'il peut croire. Wood et Burchiellli montrent très bien ces doutes, avec une montée de paranoïa vis-à-vis d'Eve Lindon, le lecteur se demandant où se situe la vérité, les auteurs jouant aussi avec lui. Au fur et à mesure, Matty Roth se rend compte qu'il peut trouver des ressources auprès des quelques amis qu'il s'est fait, mais aussi qu'il n'est pas du tout un élément neutre dans cette société. Bien que n'étant là que depuis peu de temps, le simple fait qu'il soit observateur et que ses reportages soient vus à l'extérieur de Manhattan fait qu'il modifie les événements qu'il observe. Il ne choisit pas de devenir moteur des événements, mais il y participe de manière incidente, et parfois de manière directe. En cela il est devenu un citoyen à part entière de Manhattan. Le lecteur se retrouve vite pris également par l'intrigue, Brian Wood ayant conçu un thriller à haut risque, avec des répercussions significatives pour le personnage principal, mais aussi pour l'otage (bien sûr) et pour la situation globale de Manhattan, avec le risque très réel d'une nouvelle intervention militaire.


Épisode 11 - Zee Hernandez n'a pas toujours été blonde. Comment se passait ses études de médecin avant la guerre civile ? Où était-elle pendant les premiers échanges armés à Manhattan ?


Cet épisode est l'occasion pour Riccardo Burchielli de prendre un peu de repos (ou d'avance pour dessiner les épisodes suivants), et pour Brian Wood de développer un personnage secondaire, enfin pas si secondaire que ça puisqu'il s'agit du premier rôle féminin. Kristian Donaldson est dans un registre graphique assez proche de celui de Burchielli, avec de discrètes touches d'exagération comique qui évoque parfois Simon Bisley dans la deuxième moitié des années 2010, par exemple sur la série Hellblazer avec Peter Milligan. Les décors sont parfois un peu moins consistants et crédibles que ceux de Burchielli, mais l'urgence et l'inquiétude sont bien là. Le scénariste montre comment Zee Hernandez a vécu l'assaut donné sur Manhattan, ainsi que son évacuation et la désinformation organisée par l'état. Du coup le lecteur se familiarise avec elle, en même temps qu'il apprend des bribes d'information sur le début du conflit qui a mené à faire de l'île une zone démilitarisée.


Épisode 12 - Au travers de ses articles et de ses notes, Matty Roth fait découvrir d'autres quartiers de Manhattan, ainsi que des habitants qu'il a interrogés.


Un épisode qui sort de l'ordinaire : pas d'intrigue, mais un mélange de brèves interviews d'habitants (2 ou 3 phrases maximum), de courts papiers (2 ou 3 paragraphes synthétiques) sur l'état de plusieurs quartiers de Manhattan, sur l'anatomie d'une bataille de rue, sur la culture, la mode, quelques restaurants, illustrés par des dessins mi photographies au contraste poussé à fond en noir & blanc, mi dessins au trait épais. Brian Wood donne ainsi de la consistance à la population, aux quartiers, à la société qui s'est adaptée à cet environnement bouleversé.


Ce deuxième tome confirme la dimension politique du récit, la narration visuelle vive et naturelle, le commentaire sur la réalité de la guerre pour la population civile, ainsi que les stratagèmes des factions en conflit pour justifier leurs actions militaires. En filigrane, Manhattan devient un personnage omniprésent, ainsi que sa population. Le lecteur se rend compte que l'auteur éprouve une réelle fierté vis-à-vis de la population de l'île, fierté pour ceux qu'il met en scène, mais également fierté pour ceux au temps présent dont la vitalité et l'entrain se retrouvent dans leurs homologues de fiction et d'anticipation.

Presence
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le 7 mai 2020

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