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Dans le monde de la bande dessinée comme ailleurs, il faut avoir la capacité d’imaginer des univers entiers d’une grande richesse. Dans la création d’une œuvre visuelle, l’inspiration doit être partie prenante, le fond se devant d’être matière à réflexion. Beaucoup font le choix de s’inspirer du folklore ou de légendes anciennes pour créer un univers de science-fiction, à la manière de George Lucas. Au sein du neuvième art, l’extraordinaire influence de Moebius sur les œuvres fantastiques est louée à juste titre ; cependant, les Humanoïdes Associés ne s’arrêtent pas à lui ou à Jodorowsky. À la même époque, un certain Caza combine ainsi des talents d’illustrateur, de scénariste et de coloriste, lui permettant de créer seul un univers cohérent. Le Monde d’Arkadi, avec son glossaire et ses cartes, fait écho au souci du détail de Tolkien – certes dans une moindre mesure, et n’échappe pas à la règle, se prêtant volontiers au jeu des mythologies antiques pour bâtir sa propre trame scénaristique.

Cette série des « Chroniques de la Terre fixe » représente la plus lourde somme de travail de son auteur, auquel il faudra presque une vingtaine d’années pour terminer son récit depuis la parution du premier volume en 1989. Caza nous conte une histoire relativement complexe à une période lointaine appelée «Ère de la Masse », quelques dix mille ans après notre ère. La Terre ne tourne plus sur elle-même depuis des siècles, durant lesquels jour et nuit ne définissent plus des termes temporels mais géographiques. Une face est ainsi constamment exposée au soleil brûlant, tandis que l’autre est condamnée à l’obscurité la plus totale, dans laquelle seule une utopique cité-dôme de Dité protège ses habitants privilégiés. Les vents salés balaient les plaines et rendent la plupart des surfaces inhabitables. Rares sont les oasis dans ces déserts où la survie est rude. La Lune n’est plus un satellite naturel de la Terre mais un anneau de morceaux brisés, comparable aux anneaux de Saturne. Sur cette planète immobile, des dieux-machines partagent le destin de toutes sortes d’individus et de races animales. C’est dans ce contexte que Caza développe son histoire.

La saga suit l’épopée providentielle du jeune Arkadi, fils du barbare Arkas et de la magicienne Albe, qui doit trouver sa propre voie en faisant face aux hostilités de son monde. Il sera amené à rencontrer un autre personnage, une machine au cerveau d’homme baptisée Or-Fé, poète apportant les rêves nécessaires à la survie des créatures peuplant Dité, la cité de l’ombre technologique, programmée, parfaite. Très vite se multiplient les références quasi-systématiques à la mythologie gréco-romaine, plus rarement à d’autres religions. Caza revisite aussi l’Histoire de l’Art et de la littérature pour donner une dimension épique au récit.

On pourrait d’ailleurs lui reprocher une certaine facilité scénaristique. En effet, on retrouve parmi tant d’autres les mythes d’Or-Fé et R-I-10 (Orphée et Eurydice), He-Fa-Is et Pand-Ra (Héphaïstos et Pandore) ; les machines sont appelées Titans, Arkas fait écho à Arcas, les Parques aux Moires, Kro-No à Chronos ; le personnage de Jonas rappelle même un épisode de l’Ancien Testament. Caza évite pourtant les écueils et parvient à donner une dimension unique à son univers, malgré des rebondissements qui ont un parfum de déjà vu. Sa peinture des rites barbares jusqu’à la thématique de la dystopie informatique renvoient à bien plus qu’une dichotomie, de sorte que les « miroirs magiques » font autant penser à Jean Cocteau qu’aux « palantíri » du Seigneur des Anneaux. À la fois poète et musicien, Or-Fé se fait détenteur d’un savoir ancestral, l’art. Une alchimie au sens figuré comme au sens propre : capable de transformer le plomb en or. S’installe alors une mystique de la poésie, dont la symbiose avec l’art permet de comprendre l’univers, depuis les limbes jusqu’aux cieux.

On risquerait de gâcher le plaisir de la découverte à trop analyser les thématiques et les mécanismes du Monde d’Arkadi. Avec l’ultime volume paru en 2008, même si de nombreux secrets sont dévoilés, toutes les réponses ne sont pas données sur cette planète rongée par un terrible cancer. Au-delà du destin des radons, ces êtres capables de s’adapter instantanément à tout milieu dans une mutation accélérée, elle laisse en suspens une morale nietzschéenne, où la volonté de puissance fait place à un lourd sentiment de culpabilité. Cette épopée fantastique aurait-elle pour source des dangers plus réels ?

http://offthebeatentracklists.wordpress.com/2012/08/10/caza-le-monde-darkadi/
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le 10 août 2012

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le 10 août 2012

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