Plutôt que de mettre en place formellement une nouvelle étape de la « Quête », Le Tendre a porté son effort scénaristique sur les problèmes rencontrés par les aventuriers lors d'un simple passage sur les terres d'un singulier personnage, le « Rige ». En effet, si l'on regarde bien, à la fin de l'album, les aventuriers n'ont conquis aucun objet majeur nécessaire à satisfaire les requêtes de Mara, et à maintenir Ramor dans sa conque.

La quête patine donc sur le fond, mais c'est l'occasion de mettre en scène un peu plus de psychologie et de substance dans certains personnages, tout en cherchant à équilibrer le tragique, l'épique et la facétie. Qu'il l'ait voulu ou non, Loisel s'est efforcé de raffiner la mise en images des décors, ainsi que les atmosphères qui en découlent. La planche 1 introduit d'emblée dans une forêt plus ou moins dense, où les arbres laissent pendre quelques siècles de mousses et de lichens. Ne faisons pas dire à Le Tendre ce qu'il n'a probablement jamais voulu dire, mais, comme l'album quitte les fanges du domaine de Mara, et les nudités rocailleuses de Numur (la cité des Jaisirs), on pourrait déceler dans le monde enveloppant et couvert de la forêt une incitation pour les héros à se rapprocher de leur inconscient et à régler quelques comptes freudiens.

De fait, l'album apporte quelque trouble dans notre vision du quadrilatère Bragon-Pélisse – Le Rige-Bulrog. Si on s'attend à classer les bons d'un côté, les vilains de l'autre, on a des surprises. Les règles qui régissent les relations entre personnages nous sont partiellement inconnues, et le long passé de Bragon semble contenir maintes potentialités dont Le Tendre tire profit.

Pour faire bref, le Rige est un vieux guerrier à la tête très étroite et étirée en hauteur comme un concombre bizarrement violacé. Histoire de maintenir sa réputation guerrière, le Rige défie et étripe tous ceux qui passent par son territoire. On est un peu dans « Les Chasses du Comte Zaroff », d'autant que le Rige sait apprécier en expert les stratégies mises en œuvre par les aventuriers pour survivre et se défendre.

Le Rige est aidé ( ?) par des créatures assez primaires, à cou et tête d'autruche à longs et rares cheveux, porteuses de petites mais robustes ailes de ptérodactyles. Le mâle s'appelle Göl, la femelle Gallû, mais une troisième larronne, Ardate, provoque des scènes de jalousie de la part de Gallû. Autant dire que l'intérêt de ces bestioles est surtout comique, en insistant sur leur côté mercenaires un peu bornés.

Bragon, Pélisse et Touret ( ?) pénètrent sur les terres du Rige. Bragon doit se débarrasser au fond d'un puits d'une « pode rouge », l'inévitable machin à tentacules pustuleux et pédonculeux qui veut tout bouffer. Pélisse est promue au rôle d'anima de service, car c'est elle qui incite vigoureusement Bragon à affronter le Rige, ce dont Bragon semblerait devoir bien se passer. Comme si Pélisse était là pour dire un sens caché qui échappe aux plus âgés (voir planche 18). C'est pourquoi on peut parler d'évolution psychologique des personnages ici. De même, Pélisse tient d'une manière anormale à son Fourreux, et ce lien exclusif la pousse à une explosion de sauvagerie qu'on n'attendrait pas trop chez elle (planches 51 et 52).

Loisel a donc consenti un effort pour parsemer sa jungle de statues cabossées mais originales (planche 13). Comme de juste, les bagarres se passent la nuit, dans des ruines de temples et palais un peu mal définies mais pratiques pour les embuscades. Les mauves et les violets dominent alors largement. Le dessin de Loisel semble être devenu plus net, plus lisible, mieux colorié aussi (dégradés intéressants).

Fol de Dol aide encore les aventuriers et les énerve avec ses fantaisies aquatiques.

Planche 9, Pélisse fait du charme à Touret ( ?) pour qu'il ne s'en aille pas, et ses seins considérables servent d'argument...

Touret apporte la meilleure conclusion possible en définissant en clin d'œil en quoi consiste la « Quête de l'Oiseau du temps » : « Le train-train habituel ! Bagarres, poursuites, fatigue, faim, et pieds gelés, coups de gueule et réconciliations !... Sans oublier bien sûr une pointe...ou deux, hm... d'érotisme ! » (planche 42)...
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le 22 oct. 2012

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