Le Sculpteur
7.4
Le Sculpteur

Roman graphique de Scott McCloud (2015)

Après avoir connu gloire et succès auprès des plus grandes galeries d'Art, l'ancien sculpteur téméraire David Smith n'est désormais plus personne.
Errant, telle une âme en peine, dans une New York moribonde, cet artiste désormais fauché, souffre des affres de la solitude et de la dépression.
Cet homme en manque d'inspiration, qui a tout sacrifié pour défendre son point de vue sur la place de l'Art en société, n'est plus que l'ombre de lui-même.
Le cœur empli d'amertume et de mélancolie, ce jeune artiste idéaliste qui vagabonde sans but dans les bars et les cafeterias a pourtant attiré sur lui l’œil de la Grande Faucheuse.
Cette dernière lui propose un pacte : en échange de sa vie, David recevra le don de sculpter ce qu'il souhaite avec la seule force de ses mains.
Il n'a désormais plus que 200 jours devant lui pour façonner son chef d’œuvre, la sculpture qui fera de lui un homme célèbre et qui empêchera son nom de tomber dans l'oubli.
Mais 200 jours c'est assez long pour réduire à néant les certitudes d'un homme brisé sur la vie.
200 jours c'est suffisant pour redécouvrir l'amitié, la joie et surtout l'amour.


Scott McCloud est une référence pour toute les personnes désireuses de se mettre à la bande-dessinée.
Érudit et théoricien sur le neuvième art, ses livres comme L'art invisible et Faire de la bande-dessinée témoignent de l’étendu de ses connaissances sur le processus de création d'une bd et l'importance de la narration dans l'art séquentiel.
Inutile de dire que son premier grand comics était attendu au tournant par une partie du public bd pour voir si cet auteur allait enfin mettre en application les leçons proposées dans ses anciens bouquins didactiques.


Après lecture du bottin, il s'avère que Le Sculpteur est loin d’être une déception.
La maîtrise de McCloud pour la narration est irréfutable car il s'agit sans doute de la plus grande force de ce récit au rythme pour le moins haletant.
En s'inspirant du mythe de Faust (pacte avec le diable tout ça...), Scott Mcloud nous propose ici une histoire entraînante et engageante de 500 pages à la narration et au style irréprochables.
Incroyablement dense et parsemé de bonnes idées, le récit dispose d'une fluidité unique en son genre qui ne souffre jamais de longueur ou de lourdeur.


L'histoire en soi, malgré un postulat plutôt classique, offre un mélange abouti de chronique sociale et de fantastique.
A travers les déambulations de David Smith, l'auteur nous offre un large panel de thématiques intéressantes et pertinentes comme la place de la passion dans la conception d'une œuvre d'art, le statut des artistes dans la société ou encore les liens entre pulsion artistique et volonté mercantile.
Mais au-delà d'une simple critique (un peu facile par moments) sur notre rapport à l'art dans notre monde contemporain, Le Sculpteur c'est surtout une histoire romantique sur la rencontre hasardeuse de deux personnes que tout oppose.
Quand David rencontre Meg, le livre s’écarte progressivement du monde artistique pour embrasser celui du romantisme comme David s'écarte lui-même de son art pour retrouver une vie, une chaleur, une joie qu'il avait lui-même oublié.


Ainsi, Le Sculpteur, c'est surtout une histoire d'amour, touchante et humaine qui parle de l'introspection d'une créature vivant recluse qui parvient finalement à trouver un sens à la vie au crépuscule de son existence.
Tragique et enivrante, l'émotion est parfaitement dosée et donne à l’œuvre une profondeur poétique et dramatique des plus réussies. (véridique, j'ai versé quelques larmes devant le prodigieux final)


Graphiquement, le trait doux et simple offert par McCloud se marie parfaitement avec le découpage, l'atmosphère et l'intrigue du livre.
Le style nous présente un trait qui ne correspond ni au comics, ni à la franco-belge, ni au manga mais à une mélange unique fortement influencé par les 3.
Les émotions sont parfaitement retranscrites et la ville de New York dispose d'un cachet visuel assez reconnaissable et chargé en détails anodins.
La gestion de la couleur est également judicieuse avec l'omniprésence d'un bleu claire des plus apaisants qui souligne avec justesse le caractère introspectif de l’œuvre et l'omniprésence de la vie qui nous entoure.


Au final, pari réussi pour Scott McCloud qui démontre en 500 pages tout son savoir-faire en terme de narration et de découpage.
Mirifique, passionnant et bouleversant, Le Sculpteur est une véritable pépite dramatique débordante d’optimisme qui allie avec brio réflexion, émotion et divertissement dans une histoire d'amour tragique des plus accrocheuses et des plus passionnantes.


Un gros coup de cœur !

Asarkias
9
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le 7 mai 2015

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Asarkias

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