Il est difficile de parler d'homosexualité dans l'art. En tout cas, il est difficile d'en parler avec justesse, tant la mode actuelle semble plaider en faveur d'un traitement artistique « militant » de l'homosexualité. Si un personnage est homosexuel, il sera pratiquement toujours confronté à l'intolérance, à l'homophobie et à l'exclusion, l'oeuvre devenant ainsi un plaidoyer en faveur de la tolérance. Et s'il est hors de question de nier l'actualité de certaines de ces préoccupations (surtout lorsque l'on sait que l'homosexualité est punie de mort dans certains pays), il est pénible de voir l'esprit partisan plomber systématiquement les œuvres traitant de ce sujet, au détriment de l'aspect humain des situations.
Dans une certaine mesure, Le bleu est une couleur chaude échappe à ce vilain travers, en se concentrant sur la relation amoureuse que vivent deux femmes qui passent leur temps à se chercher, se retrouver, se séparer, se chercher, etc. Les personnages ne sont pas d'abord vues comme des homosexuels, mais comme des personnes, incomprises par leur entourage et en quête d'elles-mêmes.
La narration est à louer, tout le récit étant couché par écrit sur le journal d'un des personnages, dont on apprend dès le début de l'oeuvre qu'elle est morte. Ainsi, une dimension tragique entre dans l'oeuvre, la rendant d'autant plus émouvante que le lecteur sait ce qui arrivera fatalement.
Ajoutons à cela un dessin somptueux, sobre mais chaleureux, mettant en valeur le bleu (what else?) et nous obtenons une bien belle bande dessinée.
Du moins l'obtiendrait-on s'il n'y avait pas nombre de défauts.
Premièrement, au risque de choquer, on a déjà vu ce genre de récit des dizaines de fois. Aucune originalité scénaristique à attendre de cette œuvre, si ce n'est qu'on remplace un couple hétérosexuel par un couple homosexuel. C'est tout, et c'est bien peu.
De plus, je disais plus haut que l'œuvre échappait au travers du militantisme. Je le maintiens, car les personnages ne sont pas d'abord brossés comme des homosexuels, mais comme des êtres humains. Hélas, on sent tout de même que les auteurs ont voulu faire passer un message militant (et un peu convenu) au travers de cette bande dessinée, si l'on en croit certaines répliques plates du genre « tout le monde à le droit de s'aimer ». Et si je ne conteste pas la phrase sur le fond, je trouve dommage que son peu d'originalité dans sa forme vienne plomber les superbes dessins qui l'entourent.
A cela, nous pouvons ajouter certaines facilités, notamment dans la découverte de la maladie de Clémentine ou l'écriture des personnages "homophobes", de véritables clichés ambulants que même Act Up peinerait à trouver crédibles.
Bref, j'étais bien parti pour décerner à ce bébé à la fois superbe et consternant un 5/10.
Mais c'était sans compter la fin de l'objet de cette critique. Si là encore on n'échappe pas au militantisme pesant, l'accablement de la tragédie est si poignant que l'on ne peut que compatir et pleurer avec Emma. Le spectateur a beau savoir que c'était inévitable, il n'en reste pas moins ému aux larmes.
Tant pis pour les défauts, un point en plus pour faire passer cette critique parmi les « positives ». En regrettant que lesdits défauts m'empêchent de me souvenir de cette couleur chaude comme d'un chef d'œuvre intemporel.