Une histoire tragique d'amour lesbien entre une fille retenue par sa vie de couple déjà établie, mais qui assume son homosexualité, et, en face, une adolescente consumée de complexes, qui éprouve de violentes pulsions homosexuelles, mais qui refuse de se l'avouer et de s'identifier comme lesbienne.
Le récit vaut par sa description des incertitudes et des graves tourments affectifs communs à l'adolescence, description qui prend souvent son temps et qui exprime avec justesse les désarrois et les désespoirs de courir après un bonheur qui se dérobe toujours.
Ceci dit, Julie Maroh n'a pas lésiné sur les éléments qui peuvent rendre cet amour difficile, voire impossible : hésitations de l'une ou de l'autre, réticences, jalousie de la partenaire, persécutions des copains d'école qui trouvent que l'homosexualité est dégueulasse, colère des parents quand ils surprennent leur fille en flagrant délit de lesbianisme, recours à la drogue pour oublier...
On est dans le mélo, et ça finit mal. Il est peu indiqué de lire cet album si vous êtes dans une situation comparable, ou simplement déprimé. Compte tenu du sujet, les scène de sexe sont relativement réduites, et suggèrent une impression que l'auteur(e) n'avait peut-être pas désiré: l'amour physique est sans issue, comme le disait Gainsbourg. L'amour fait, les draps froissés, le manque subsiste; la folie de l'orgasme arrache des cris d'amour, et après ? Tous les ennuis, tous les malaises reviennent quand le plaisir s'apaise.
Cet album introduit d'assez ennuyeux passages militants en faveur de la reconnaissance de l'homosexualité. On ne nous épargne même pas les slogans bien cadrés de la Gay Pride. La dimension de propagande de ce récit, non seulement atténue la justesse de ton des situations amoureuses, des méditations intérieures, et du drame, mais met le doigt sur une des problématiques d'immaturité de l'adolescence : s'identifier socialement à un désir personnel. Que diable ! Qu'est-ce qu'on a à faire que les autres acceptent ou pas la manière dont vous procédez à la déplétion de vos glandes ! On "n'est pas" lesbien, on pratique le lesbianisme. L'identité personnelle, elle, est un gouffre sombre toujours mouvant, et vous pouvez virer votre attitude, ou l'élargir, du jour au lendemain.
Mais voilà, l'adolescence, en quête d'identité, s'imagine trouver de l'identité là où il n'y en a pas, c'est à dire dans le désir, incroyablement baladeur, inconstant et fantaisiste. Pas étonnant, qu'à vouloir fonder une identité stable sur du mouvant, de l'obscur et du fugitif, on finisse mal. Alors, les petits cerveaux d'ado, porteurs des préjugés à la con des vieux, faute d'avoir trouvé leur vérité personnelle (et pas collective, on ne recommence pas les erreurs des parents, S.V.P.), s'attaquent à l'anormal, au marginal, à l'original (qui n'en est pas pour autant un génie ni un révolutionnaire).
Quelques fautes d'orthographe sporadiques font qu'on ne peut totalement prendre au sérieux cette oeuvre engagée dans une cause sociale, ce qui simplifie toujours les désirs.
Dessin en noir et blanc, très lisible, mais qui contribue à la déprime générale par la grisaille généralisée de ses couleurs, sauf le bleu des cheveux d'Emma, qui n'est pas assez porteur de sens pour justifier la grève des couleurs dans tout le reste de l'album.