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Adaptation d’un roman d’Amin Maalouf, le travail de Joël Alessandra nous plonge dans le Proche-Orient des années 1665-1666. A l’époque, le Liban et la Syrie, régions arabes dominant l’essentiel de ce premier volume, ne sont que des provinces de l’Empire Ottoman (Turc). Le pouvoir et la culture sont donc centralisés à Istanbul.

Affaire d’époque : Joël Alessandra avait à illustrer une des périodes les moins courues des mondes libanais et syrien. Le XVIIe siècle, ce n’est pas le monde des Mille et une Nuits, ou des premiers assauts de l’impérialisme islamique. Pas question, donc, d’habiller n’importe comment les personnages, en les affublant de djellabas stéréotypées, de culottes bouffantes et de turbans à tout faire. Il s’ajoute à cette contrainte la diversité des confessions religieuses déjà fort sensible à cette époque dans la région, diversité qui n’est pas sans effet sur la tenue vestimentaire.

La recherche iconographique a porté ses fruits : bonnets coniques ou calottes à peine anguleuses, tuniques longues ou caftans diversement cintrés. Les turbans sont limités aux Turcs (pages 50-53). On devine le coton, le cuir, la fourrure. Et on ressent un certain choc à voir coexister (bien légitimement vu l’époque) un grand noble français style Louis XIV, à la tenue ornementée et à la tête somptueusement emperruquée, et le décor commun et populaire d’une ville musulmane (pages 12 et 13).

Le trait de Joël Alessandra se fait léger mais ferme, d’un crayonné noir-brun qui déborde parfois sur les visages en les cisaillant de quelques suggestions de barbe ou de rides. Plus achevé que le trait d’un Hugo Pratt, son réalisme sait se limiter à l’impression générale, sans entrer dans le détail broussailleux d’un Gir. Loustal peut être évoqué pour la construction des formes, et l’analogie ne s’arrête pas là, car l’application des couleurs et les effets de lumière rappellent le même dessinateur. Les dégradés, façon aquarelle, se limitent à deux ou trois couches de luminosités différentes, ce qui bariole les paysages, les visages, les objets de forts contrastes marrons, bruns, caramel, bleus... soigneusement repérés par une limite bien nette et sans nuance. Voir le portrait de Marta page 23, et les beaux contrastes de bleus, de rouge et de vert page 57.

Beaux décors architecturaux et mobilier pages 4, 7, 16. Très belle Sainte-Sophie page 38.

On sent la patte de l’écrivain (Amin Maalouf) dans l’histoire. Les écrivains ont tendance, plus souvent que les autres, à mettre en scène des histoires de livres et d’écrivains. Justement, l’intrigue consiste en la quête d’un livre par un libraire. On est en 1665, et, si on compte bien, l’année suivante nous donne 1666, dont les derniers chiffres font très diabolique, et promettent une catastrophe sans précédent. Bon, si le héros était musulman, il s’en moquerait : il n’utilise pas ce calendrier-là. Mais, précisément, c’est un chrétien libanais, donc une éventuelle apocalypse le concerne.

Des rumeurs veulent qu’un livre rare, « Le Centième Nom », contienne le centième surnom de Dieu, dont l’énoncé permettrait de pallier la fin des temps imminente. On remarquera que cette histoire des Cent Noms de Dieu, surtout musulmane (voir Wikipédia pour la liste :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Noms_de_Dieu_en_islam ) devrait laisser assez froid un chrétien, qui n’y verrait aucune efficace potentielle. Mais, au Liban multiconfessionnel, les échanges de contenus théologiques fonctionnent assez bien.

Et notre héros, intéressé par le livre, se le voit requérir par un client russe orthodoxe, puis par tout un tas de gens variés qui s’angoissent à l’approche de l’Année de la Bête. A méditer par ceux qui nous bassinent avec leurs fins du monde imminentes à répétition, tirées de révélations plus ou moins improbables.

Baldassare, le héros, trouve le livre, le reperd bêtement, part à sa recherche dans le monde ottoman, accompagné par ses deux fils, Boumeh le sérieux et Habib le dragueur. Il va jusqu’à Constantinople-Istanbul dans ce volume.

Le héros rencontre en route un juif, Mahmoun Toleith, qui va à Constantinople pour des raisons comparables : l’Apocalypse kabbaliste prévue par le Zohar en 1648 n’ayant pas eu lieu, ce juif va consulter un spécialiste à Constantinople pour acquérir la certitude qu’il ne s’est vraiment rien passé cette année-là... (Ca nous fait beaucoup de fins du monde, tout ça ; le gens aimaient bien s’angoisser à cette époque comme aujourd’hui).

Cette quête finalement bien intellectuelle et culturelle va s’équilibrer de deux motifs récurrents : Baldassare se fait accompagner, presque de force, par Marta, une jolie veuve qui voudrait bien prouver officiellement qu’elle l’est, et évidemment le courant finit par passer entre les deux... Par ailleurs, les voyageurs trouvent sur leur passage nombre d’escrocs et de voyous qui savent y faire pour leur prendre leur argent, et le désintéressement théologique des héros fait contraste avec le matérialisme odieux de ces personnages peu recommandables.

Des facilités de narration un peu répétitives : pour envoyer les héros dans une impasse, rien de tel que de tuer les personnes qui leur auraient été précieuses pour en savoir plus sur « Le Centième Nom ». Il y trois personnages-clés qui se font dézinguer, quand même, dont deux apparemment de mort naturelle : le vénérable Idriss (page 16), le dédaigneux chevalier de Marmontel (page 41), et le cupide greffier turc (page 47). Facile.

Les questions de tolérance entre confessions proches géographiquement sont souvent posées : pas question de détourner la caravane (il faut payer pour en faire partie) pour qu’un chrétien aille voir un morceau de la vraie Croix (page 32), tolérance entre chrétiens et juifs (page 33), juifs persécutés (page 34).

Cette histoire de livre introuvable et maudit captive fort bien. Son contenu n’en est nullement révélé pour le moment. Mais on a le sentiment qu’il s’agit d’une sorte de hadith théologique assez classique, assez loin des prestiges sulfureux dont la tradition a affublé des ouvrages fictifs ou non (Necronomicon, Manuscrit Voynich, Les Stances de Dzyan, etc.).
khorsabad
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le 28 août 2012

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