Le monde de Franquin
Le monde de Franquin

BD franco-belge de André Franquin (2004)

Le 3 janvier 2024 André Franquin aurait eu 100 ans.

Et puisqu’il y a toujours des célébrations pour les anniversaires de la naissance/mort/sortie de leur œuvre la plus connue/premier cancer du foie/etc. des grands hommes, et que Franquin en était un, assurément, alors parlons un peu du bonhomme.

(Nous jetterons un voile pudique ou plutôt embarrassé sur la sortie récente du nouveau tome des aventures de Gaston)

Je n’aurais jamais assez de toute une vie pour remercier tous ceux qui m’ont fait rentrer dans l’univers palpitant de la bande-dessinée et bien sûr je ne pourrais jamais assez me prosterner devant l’incroyable talent d’André Franquin. Son personnage de Gaston Lagaffe reste un des héros préférés, ou plutôt ce « faux héros », employé au poil dans la main gigantesque mais à la grande imagination pour occuper son temps de travail à tout autre chose. Un tire-au-flanc maladroit, mais aux qualités humaines certaines : ami des animaux, le coeur sur le main, un doux rêveur dans ses espadrilles. Le grain de sable d’une organisation salariale souvent victime de ses bévues et même de ses bonnes intentions.

Je l’avoue, le monde du travail ne m’a jamais fait rêver, cela reste pour moi une aberration humaine. Quand j’étais petit enfant l’exemple de Gaston m’en disait beaucoup sur l’organisation salariale et humaine de ces adultes faussement sérieux et c’est bien l’un des mérites de la série de faire réfléchir sur notre société. Franquin avait ses convictions, et aidé par Jidéhem ou ses complices, il a pu utiliser sa série phare pour les évoquer tout en restant d’une très grande drôlerie.

Un de mes autres contacts avec l’auteur fut avec la célèbre collection de BD Shell distribuée en 1994 et l’album «  Le petit Noël et le Marsupilami » qui me permit de découvrir deux de ses créations, le doux et gentil Petit Noël, à hauteur d’enfant, et le rebondissant et sacré drôle d’animal qu’est le Marsupilami. L’un aura la carrière rebondissante que l’on sait, mais il ne faudrait pas oublier le charmant Noël.

Et que dire des Idées noires, dont la dépressive noirceur, le pessimisme de son ton, la société mise en pièces par ce trait charbonneux ne pouvaient qu’impressionner l’enfant jeune lecteur que j’étais. Un univers étrange, mais qui m’amenait aussi vers des terrains moins enfantins de la bande-dessinée, me dévoilant d’autres possibilités mais aussi d’autres facettes de Franquin, donr son combat récurrent contre la dépression.

Enfin un de mes oncles, grand amateur de bandes dessinées avait une belle et grande affiche de Franquin représentant ses créations, la même ou presque qui illustre la couverture de « Le monde de Franquin », et elle m’a toujours fait forte impression. Il m’a promis de me la léguer lors de sa mort, mais je l’apprécie bien plus chez lui vivant donc petit Jésus s’il te plait ne lui fait pas honorer cette promesse, merci.

Et les aventures de Spirou par Franquin, bah alors ? Je les découvris bien plus tard, avec une grande curiosité. Mais je suis de la génération Tome et Janry, j’adorais leurs albums et quand je les relis c’est toujours avec une certaine gourmandise. Si Franquin a fait de très bons albums, ses plus communs me paraissent aussi terriblement plus fades, quand ils ne m’apparaissent pas trop désuets.

Alors Monsieur Franquin, merci, vraiment. Pour ce que vous m’avez apporté, et ce que vous avez offert aussi à tant de lecteurs ou à l’univers de la bande-dessinée.

Mais comme toutes les légendes il faut parler et parler encore de l’artiste mais aussi le faire découvrir aux nouvelles générations. Ses Spirou et Fantasio ou ses Gaston sont heureusement toujours réedités, mais le bédéaste n’a pas fait que ça.

C’est ainsi que ce Monde de Franquin est assez utile, car il propose une petite anthologie de la large bédégraphie de l’artiste, en tout cas pour les histoires dont il était au scénario et au dessin (il ne sera ainsi pas question de Les Démêlés d'Arnest Ringard et d'Augraphie dessinés par Jannin ou d’Isabelle avec Will par exemple)

L’ouvrage fut publié en 2004 à l’occasion de l’exposition « Le monde de Franquin » mais il ne s’agit pas d’un catalogue, bien d’une sélection graphique. Seules quelques courtes notes en fin de page présentent un peu les œuvres choisies et en offrent quelques maigres éclairages. Ce n’est pas si grave, tant l’oeuvre de Franquin est à la fois accessible mais riche de nombreux thèmes.

Les grandes œuvres de la plume de Franquin sont bien sûr présentes. Quelques planches extraites de Spirou et Fantasio mettront en avant sa passion des mécaniques ou la réussite incroyable de ce documentaire animalier en images qu’est Le nid du Marsupilami, l’occasion de rappeler l’attachement de l’auteur à la cause animale, visible plusieurs fois au cours de l’album.

Les facéties de Lagaffe ne sont bien sûr pas oubliées, avec sa douce relation avec Mademoiselle Jeanne ou son univers parfois poétique (le gag du centre de documentation reconverti en cocon m’a toujours marqué) dans un monde du travail qui ne peut que constater parfois énervé parfois amusé parfois presque conquis ce collègue d’un autre monde.

Les quatre planches des Idées noires permettent encore de reparler de la cause animale, mais avec un cynisme ou un esprit de revanche jouissif. Avec Franquin la cause humaine était parfois d’une profonde absurdité, quand elle n’écrasait pas (littéralement, ce gag 37 !) les pauvres êtres.

En dehors de ses terrains connus, mais on ne se lasse pas de les relire, l’album propose aussi des planches moins connues, parfois même inédites, avec quelques illustrations.

Avec les courts récits du personnage de Noël, Franquin pouvait jouer à la fois sur un contexte bien défini, très urbain avec ce petit garçon au vague à l’âme certain, mais qui ne manquaient pas malgré tout d’une certaine chaleur. Avec « Les étranges amis de Noël » ou « Joyeuses Pâques pour mon P’tit Noël » Franquin propose même l’incursion d’une charmante fantaisie, avec des signes de panneaux de civilisation qui prennent vie ou cet ange reconverti en mésange au grand coeur mais fort en gueule.

En 1955 la petite brouille temporaire de Franquin avec Dupuis pour aller sonner à la porte du rival Tintin aura permis de créer Modeste et Pompon, à l’évident classicisme de comédie domestique, pour s’amuser de la petite bourgeoisie. Rien de bien foufou tout de même, et les deux seuls gags présentés ne permettront pas de donner envie de redécouvrir la série.

Franquin avec Yvan Delporte aura tenté de dissiper la routine qui pour lui l’accablait en créant au sein du journal Spirou le supplément Le Trombone illustré en 1977. Un nouvel espace de libertés qui ne dura pas, mais qui permit d’y faire publier le début des Idées noires avant Fluide Glacial, mais aussi le personnage de La Mitre railleuse. Un évêque facétieux dont les emblèmes papaux sont détournés de leur usage sacré pour mieux s’en amuser. Cela amusera moins certaines personnes de chez Spirou, mais qu’importe, les lecteurs ne peuvent qu’apprécier l’imagination enfantine de Franquin en reprenant ce personnage pour différentes petites illustrations sans grande malice.

On l’aura compris, l’auteur aura cherché à dissiper la routine, les habitudes, malgré le poids de certaines séries. André Franquin n’était pas homme à rester sur ses acquis, même s’il était connu pour ceux les plus connus. Cet album permet aussi de présenter ces autres espaces de petites libertés, que ce soient ses monstres, créatures parfois farcesques parfois cruelles, ou ses doodles, expérimentations conceptuelles, incroyables créations dessinées si proches de l’abstraction.

Mais les lecteurs les plus fidèles de Franquin savent déjà tout ça, en se rappelant aussi les incroyables signatures de l’auteur dans sa série Gaston Lagaffe. Même dans sa manière de signer son nom on retrouve chez l’artiste l’envie de s’amuser et de proposer de nouvelles idées.

Le monde de Franquin est donc un album rare, qui a pu bénéficier du soutien d’autres maisons d’édition pour recueillir cette si courte mais si vivifante sélection. Les plus connaisseurs s’y replongeront avec plaisir tout en découvrant des travaux plus rares, tandis que les débutants trouveront des premières portes pour des séries excellentes et qui ont peu ou pas vieilli.

André Franquin était un génie du trait et de l’idée, et il le reste, alors en ce centenaire pourquoi ne pas aller le relire en sortant ses créations de nos rayonnages ou pousser la porte de la bibliothèque pour découvrir d’autres de ses ouvrages.

SimplySmackkk
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le 3 janv. 2024

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