Au temps où la Sibérie était presque vide...
Entre pédagogie assez ordonnée et souvenirs personnels de l’auteur, cet album expose la vie des populations sibériennes depuis les origines. Même si la chronologie de l’occupation humaine de la Sibérie s’arrête dans ce volume autour de 1800, le fait que l’auteur y mêle des passages de sa vie personnelle (il est né en 1954) conduit le lecteur en fait jusqu’aux années 1970-1975 environ.
Cette bande dessinée ne répond guère aux habitudes du lecteur occidental. Les dessins sont exclusivement des crayonnés, visiblement sur papier à grains assez gros, et les reliefs et textures sont exprimées uniquement par des par des raies de crayonnage plus ou moins denses, et organisés en diverses directions. Le résultat donne un dessin très convenablement réaliste, mais, en l’absence de toute couleur (on est dans le gris soutenu tout le long de l’album), l’image que le lecteur occidental a communément de la Sibérie ne va pas beaucoup s’arranger : pays triste, plat et rude. Aucun phylactère, seulement des narratifs.
On se rend compte à quel point la forêt est tout pour les populations : elle fournit matériaux pour l’habitat, combustible, gibier pour la nourriture, fourrures pour le commerce. Les moustiques sont évoqués plusieurs fois. Le sous-bois de la taïga semble assez fourni, plus que ce que je pensais.
La séquence d’introduction, très logiquement , pose les limites géographiques de la Sibérie, et énumère les principaux peuples indigènes. On appréciera les aspects magiques et chamaniques exposés dans cet épisode.
Tout l’album est fondé sur la reproduction scrupuleuse de paysages, d’édifices, de fortifications et de personnages, visiblement d’après des photos. En revanche, le lecteur peut être dérouté par l’alternance inopinée d’exposés didactiques, d’anecdotes d’aventures ou de vie quotidienne prises ici et là, et d’extraits des souvenirs personnels de l’auteur. On ne peut pas dire que la logique de ces sauts du coq à l’âne saute aux yeux du premier coup.
Paradis, la Sibérie pouvait l’être à l’époque pour des gens frustes et peu exigeants : c’était un immense espace vide qui accueillait les démunis, les persécutés (tels ces « vieux-croyants » qui refusaient la réforme religieuse de 1666-1667), les aventuriers... Chacun y était libre de cultiver, d’exploiter une mine, de chasser la zibeline... On était loin de l’autorité du Tsar, et les paysans y étaient libres et non serfs.
Le thème récurrent est la colonisation progressive de l’espace sibérien par les Russes, les Cosaques et les Streltsys (tous au service du Tsar) : cela donne lieu à la naissance de villes, à des conflits avec les autochtones, à des tragédies et à des dangers tels que les loups.
On pourra difficilement lire cet album pour se délasser. Sa valeur documentaire, en revanche, est considérable, tant sur le plan de la narration que sur celui de l’iconographie.