La série d'OAV Les Chroniques de Guerre de Lodoss, sortie au début des années 90, fait figure de légende de l'animation japonaise. Reprenant les codes de l'heroic fantasy a l'occidentale, cette série a durablement marqué les esprits, avec son magnifique chara-design signé Nobuteru Yuki et ses sublimes compositions de Mitsuo Hagita. Une fresque épique dont les innombrables qualités suffirent a faire oublier un scénario somme toute assez convenu (même si le personnage de la sorcière Karla rompait le manichéisme de l'ensemble de façon intéressante) et une animation très inégale. Visionner Lodoss, c'était tout simplement voir une campagne de Donjons et Dragons prendre vie a l'écran. Pour le public français du début des années 90, encore peu familier avec l'animation japonaise (les VHS de chez Kazé faisant partie des toutes premières du genre éditées en France), les Chroniques furent un véritable claque.

Mais on oublie souvent que Lodoss est a l'origine une série de livres écrits par Ryo Mizuno, qui s'est largement inspiré de ses parties de jeux de rôles papier a l'occidentale. La période traitée dans les OAV ne couvre en réalité qu'une partie de l'histoire de l'île maudite.

10 ans. Il fallut attendre 10 ans pour que l'épisode de la "bataille dans le labyrinthe", évoquée dans la série, soit véritablement abordé : en 2001, le manga "La Dame de Falis" est publié au Japon. En France, nous dûmes attendre 2006 pour que l’œuvre soit éditée dans son intégralité aux éditions Kami, après une tentative avortée chez Delcourt. Les deux séries animées qui firent suite aux OAV ne surent atteindre la qualité de l’œuvre d'origine. Ce manga allait il, lui, être digne de la légende ?


La Dame de Falis se place chronologiquement plusieurs décennies avant la Guerre des Héros contée dans les OAV. Un seigneur ambitieux offre sa fille en sacrifice au Roi des Démons, terrible engeance enfermée dans les entrailles de la terre, et qui, aux cotés de Falalis et Kardis, prit part a la guerre des Dieux qui façonna Lodoss. Prenant la forme d'une sublime jeune fille aux cheveux noirs de jais, celui ci est libéré et lâche alors une armée de démons innombrables sur l'ile.

Flaus, une vierge guerrière du dieu Falis, missionnée pour enquêter sur le terrain, ne peut que constater la destruction et le désespoir laissée sur le sillage des ténèbres. Elle fera la rencontre de deux mercenaires, Wort, un puissant magicien, et Beld, un impressionnant guerrier barbare. Se joindront à elle d'autres grands noms de l'île de Lodoss : Fawn, capitaine des chevaliers saints de Falis, Neese, prêtresse de la déesse de la terre Marfa, Frepe, roi des nains du Sud et dernier survivant de son royaume, ainsi que la mystérieuse sorcière Karla, ici incarnée sous les traits d'une guerrière masquée. Ensemble, ils tenteront de sauver l'île de la destruction.

Ce scénario en apparence très usité se révèle plus profond qu'il n'y parait. Si on a visionné les OAV, et que l'on a ainsi connaissance du destin héroïque et tragique qui attendra Beld et Fawn, de nombreuses scènes deviennent prophétiques, parfois empreintes de tristesse. La psychologie des personnages principaux est, dans son ensemble, bien travaillée. Mais c'est l'étrange relation entre la jeune vestale et le guerrier barbare, êtres que tout semble opposer au premier abord, qui sera la plus développée, le scénario mettant l'accent sur la fameuse « dame de Falis » et son évolution.

Visuellement, ce manga frappe fort, le dessin étant assuré par Akihiro Yamada, célèbre illustrateur japonais, notamment connu pour son rôle de character designer de RahXephon, dont le talent a été mis au service de certains jeux vidéos (Mystic Ark, Terra Phantastica, Saiyuki: Journey West, Castlevania : Dracula X....), et surtout de nombreux romans. Son style, fin, adulte et immédiatement reconnaissable, met l'accent sur les courbes et les détails : Yamada n'a en effet pas son pareil pour rendre les drapés et les chevelures. Mais dans La Dame de Falis, il excelle aussi dans la transcription de la noirceur : les archidémons notamment, mi-hommes, mi-bêtes, sont ténébreux et inquiétants au possible, et dégagent une véritable impression de puissance et de haine. Quant au roi des démons, antagoniste principal, il est une grande réussite artistique, engeance belle et cruelle chevauchant une vile créature ailée, brandissant une gigantesque épée maudite, formant son armée par le biais de son sang, et qui révélera sa vraie nature à la toute fin de l'histoire.

Cette esthétique très mature confère au manga une certaine forme de noblesse : le dessin est beau, singulier et fourmillant de détails. Un excellent travail qui n'est pourtant pas dénué de défauts : Yamada est d'avantage un illustrateur qu'un vrai mangaka, et cela ne passe pas inaperçu : on a parfois l'impression de se retrouver devant un roman graphique tant les illustrations pleine page sont nombreuses, et l'on se perd parfois dans le sens de la lecture. On notera que l'accent est très largement porté sur une représentation détaillée des personnages (parfois très nombreux sur une même page) : les décors sont souvent anecdotiques, tout juste esquissés. Ces particularités pourront décontenancer le lecteur, d'autant que les ellipses dans la narration sont nombreuses. Pourtant, une fois le style de de Yamada assimilé, on ne peut qu'être admiratif devant l’esthétique générale de l’œuvre.

J'ai utilisé un peu plus haut le terme de noblesse pour qualifier la Dame de Falis. Ce trait se retrouve aussi dans les dialogues, où est employé un langage plutôt soutenu et parfois vieilli, ce qui ne fait qu'ajouter de la crédibilité à l'ensemble. Loin d'être des "attaques spéciales", les sortilèges nécessitent, à l'instar des OAV, de véritables incantations.

L'ensemble est ainsi harmonieux et plus que solide. Beau et épique, mais aussi tragique, sombre et mélancolique, le récit est bercé par de longues ballades et chants qui définissent finalement l'essence et le peuple de Lodoss.

La conclusion, absolument grandiose, a de quoi laisser une marque indélébile dans l'esprit du lecteur. C'est simple, à chaque relecture du manga (d'une seule traite, difficile de décrocher !), j'ai toujours été traversé par le sentiment d'avoir « vécu » quelque chose de grand.


La Dame de Falis fait figure d'indispensable pour tout amateur d'heroic fantasy. Quant a ceux qui ont visionné et aimé les OAV des Chroniques de la Guerre de Lodoss , c'est un véritable trésor qui leur tend les bras : nous avons la tout simplement le meilleur produit de la licence depuis la première série. Un grand manga donc, qui, de plus, bénéficie d'une superbe édition intégrale « de luxe » chez Kazé, avec une nouvelle traduction, un papier de qualité et une très noble couverture cartonnée... le tout pour un peu plus de 20 euros. Aucune raison de passer a coté.
Ramlladu
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le 28 mai 2013

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Ramlladu

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