La succession assez rapide d’aventures variées dont Angelot est le protagoniste, nécessaire à la capture de l’attention d’un public préadolescent, rejoint finalement les antiques traditions des romans grecs et latins, qui ne se préoccupaient guère de la vraisemblance des changements de décors et de situations, pourvu que l’intérêt soit renouvelé en permanence. Cet épisode fait se succéder sans vergogne voyage en bateau, pirates, guerre et pillage, secte armée fanatique, balbutiements d’une intrigue amoureuse réelle, attaque par des brigands et retrouvailles assez peu crédibles avec d’anciens compagnons. 

Un fil directeur – s’il y en a un – est l’association en équipe d’Angelot, d’Agnès, et d’une maigre troupe de comédiens ambulants, dirigée par un de ces fous de théâtre ne rêvant que de nouvelles créations à deux balles et de minuscules succès d’estrade publique, justement nommé « Songe-Creux », et dont le bavardage intarissable – mais gratifiant et admiratif envers Angelot – saoule les héros, et un peu le lecteur aussi.


Le contenu moral-civique du récit met en cause le fanatisme religieux et l’intolérance (planche 18 – ça se passe au Moyen Âge, bien sûr ! Nous n’avons rien à redouter de ce côté-là !), le racisme ethno-culturel et social : un chrétien aime une musulmane (planche 21) ; rappel des inégalités sociales (planche 34).


Comme cela était prévisible, la capricieuse Agnès – toujours obsédée par le souci de se laver, mais on ne peut lui donner tort – se rapproche progressivement d’Angelot, mais, à l’âge qu’ont les protagonistes, il n’est pas question d’autre chose que de petites audaces verbales, où se glisse parfois le mot « aimer ». Le glissement vers la situation amoureuse se fait commodément au moyen des petites scènes de théâtre que jouent les protagonistes, moyen détourné de s’avouer poliment certaines choses sans se compromettre (planches 17, 34 et 45).


Les quelques aspects éducatifs se répartissent au long de l’album : un pittoresque extrait d’un lapidaire médiéval (planche 15 – on remarquera la présence de « tellagons » et de « galofaces », termes médiévaux sur lesquels les lexiques demeurent imprécis : « pierres précieuses »). La poésie de la planche 15 est une ballade de Jean Froissart (« Biographie de Jehan Froissart par lui-même ») ; liste de personnages antiques apparaissant sur les scènes de théâtre (planche 28) ; extrait du « Jeu de Robin et Marion », d’Adam de La Halle (planche 34) ; le bon vieux cataplasme de moutarde de la pharmacopée (planche 47)...


Le décor et les costumes s’enracinent toujours dans le XVe siècle ; les habits, en particulier, présentent souvent ces formes raffinées et ces motifs décoratifs recherchés qui font penser à ces enluminures, tapisseries et peintures pré-renaissantes, où – si l’on en croit tout au moins le discours officiel – l’âge courtois se prolonge en politesses aristocratiques et entretiens galants.


Yvan Pommaux offre quelques décors intéressants, d’autant plus séduisants pour les jeunes que la ligne graphique est très claire, les couleurs sont sans grande nuance (aucune ombre sur les personnages), générant un effet 2D proche des miniatures de l’époque. L’intérieur d’un navire (planches 1 à 7) – qui contient tout de même un lit aux rebords ondulés ! - ; un champ de bataille sinistre (planche 13) ; un village avec ses rues herbeuses, ses chétives palissades, ses bateleurs à moitié charlatans (ou plus en fonction de la naïveté locale) (planche 15). Grande bâtisse à colombages (planches 27 et 28). Très belles salle souterraine, admirablement appareillée, pourvue de forts piliers recevant les retombées d’arcs brisés, planche 23. Carrelage quasi en damier, familier aux décors des enluminures de la Table Ronde (planches 25 et 26) ; objets d’orfèvrerie finement travaillés (planche 26) ; ville fortifiée avec courtine pas très haute et donjon (planche 31) ; catapulte (planche 35) ; belles vignettes façon enluminure enchaînant les actions (planche 43).


En dépit d’une conclusion peu vraisemblable parce que assez pressée, le rythme est soutenu, les images agréables et surtout propres à susciter le rêve d’un public pré-adolescent.

khorsabad
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le 19 sept. 2015

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