Il s'agit d'un récit complet et terminé, indépendant de tout autre, initialement parus sous la forme de 7 épisodes en 2013/2014 (publié par l'éditeur Dynamite). Le scénario est de Garth Ennis, les dessins et l'encrage de Craig Cermak, avec une mise en couleurs d'Adriano Lucas.


L'histoire s'ouvre dans une salle d'interrogatoire d'un commissariat où Eddie Mellinger (un policier d'une unité de grand banditisme) répond aux questions d'un interlocuteur invisible. Il explique que tout à commencé fin juin 2012. Mellinger et ses 3 collègues (Trudy Giroux, Duke Wylie et George Winburn) formant l'unité Red Team se sont mis d'accord pour assassiner (ou exécuter) Clinton Days, un criminel de grand envergure, ayant échappé à la prison grâce à une erreur de procédure. Le pire qui puisse arriver s'est produit : les 4 équipiers ont réussi leur coup, sans laisser aucune trace. Il ne reste qu'un meurtre non élucidé et un être malfaisant, toxique pour la société (entre autres responsable d'un réseau de distribution de drogue dure) qui ne nuira plus.


Après la fin de la série The Boys en 2012, Garth Ennis a décidé de réaliser des histoires plus courtes et complètes. Pour Red Team, il donne sa version du groupe de flics ayant décidé de faire justice eux-mêmes. La scène d'ouverture ne donne pas entièrement confiance. Les dessins de Craig Cermax sont dans une veine réaliste, mais avec un manque de densité et de personnalité. L'arrière plan de la salle d'interrogatoire est particulièrement dépouillé, les expressions du visage de Mellinger sont quelconques, la mise en scène est banale et dépouillée. La scène suivante se déroule dans le jardin derrière une petite maison. Le décor est réaliste et plausible, sans rien de remarquable. Cermak dessine plus que le minimum syndical, mais ses dessins sont fonctionnels sans éclat. Il faut un peu de temps pour accepter cette approche très prosaïque.


Cernak est un bon artisan, réalisant des planches un peu ternes. La mise en couleurs d'Adriano Lucas est au diapason de cette approche graphique, compétente, sans éclat. Lucas utilise une palette maîtrisée qui installe une ambiance pour chaque séquence, qui étoffe le volume de chaque surface de manière intelligente, mais un peu mécanique, sans sophistication. Le lecteur est donc invité dans un monde visuel concret et plausible, appliqué et sans panache, sans superflu, pas séduisant, un peu fade.


Dès la première page, Garth Ennis cède à sa propension de porter la majeure partie de la narration au travers des dialogues : dialogue dans la pièce des interrogatoires (à plusieurs reprises au fil des 7 épisodes), dialogues entre les 4 membres de la Red Team pour se mettre d'accord sur les principes, puis sur les cibles, puis sur les modalités d'exécution, dialogues au commissariat avec le capitaine Delaney qui encadre l'équipe dans ses activités officielles. Il n'y a qu'un seul moment Ennis dans tout le tome (énorme comme il se doit : un individu abattu en plein pendant une petite gâterie), pour le reste Ennis adopte un ton plutôt sobre et factuel. Ce mode narratif permet de mieux appréhender l'approche graphique de Cermak : il se contente de montrer les personnages en train de papoter, et les environnements. Il n'y a pas de redondance entre les dialogues et ce que montrent les images. C'est juste que la majeure partie du temps les images n'apportent pas beaucoup d'informations visuelles supplémentaires.


Pourtant dès la première séquence, le récit échappe à la fadeur. En scénariste aguerri, Ennis installe un suspense basique en montrant Mellinger qui s'exprime après les faits en donnant son jugement de valeur, alors que le lecteur ne connaît pas encore lesdits faits. Dès le départ, le lecteur constate qu'Ennis donne une personnalité à chaque personnage, à chaque membre de la Red Team. Il ne se sert pas de principes psychologiques grossiers, simplement au fil de chaque conversation le lecteur récolte des informations, mais aussi note les préoccupations des personnages, ce qui lui permet de se faire une idée sur ce qui retient son attention, et sur les jugements de valeur qu'il peut exprimer. Le lecteur découvre ces personnages comme il pourrait le faire d'individus dans la vie réelle au cours d'échanges ordinaires.


Le point de départ du récit n'a rien d'original : des fonctionnaires de police fatigués de voir des criminels s'en tirer pour vice de forme décident de jouer les bourreaux, ou au moins les exécuteurs. Ennis applique une couche de plausibilité réaliste, sans dramatisation. Il raconte leur décision prise autour d'une bière, il montre quelles règles ils se fixent, comment ils s'organisent. Les criminels choisis pour ces exécutions sommaires sont des ordures s'enrichissant sur le malheur des autres (trafic de drogues) ou abusant de leur position (pédophilie). Il n'y a pas de doute sur leur culpabilité ou sur leur dépravation, le fait qu'ils constituent des éléments nuisibles et même toxiques pour la société.


En face, les membres de la Red Team sont des flics compétents, toujours motivés, malgré les obstacles bureaucratiques dont ils font les frais. L'intelligence et la subtilité d'Ennis résident dans le fait qu'il n'en fait pas des revanchards ou des assoiffés de violence. Il s'agit d'individus normaux, dotés de capacités normales (pas d'exploit physique impossible), avec un bon sens et une intelligence pratique nés d'une grande expérience. Lorsqu'ils décident d'exécuter leur premier criminel, il s'agit d'une décision mûrement réfléchie. Ils savent déjà qu'ils seront tentés d'en abattre d'autres et qu'ils doivent choisir leurs cibles avec soin : de préférence non liées aux cas qu'ils traitent au sein du commissariat, dans un rayon géographique assez étendu, avec une faible fréquence et des modes opératoires variés, etc.


Red Team ne se limite pas à une histoire de palliatif sommaire pour un système judiciaire tellement imparfait qu'il engendre un niveau de frustration insupportable chez les fonctionnaires de police. En filigrane, Ennis fait ressortir la dynamique de l'équipe, qui décide, qui obéit, qui souhaite prouver son implication, toujours de manière nuancée et normale. Ces personnages ont une vie privée qui influe sur leur comportement de tous les jours, comme de vrais êtres humains. Ennis questionne la justification de ces exécutions. S'agit-il de punir des coupables abjects, ou de les empêcher de nuire à nouveau ?


Au final, les exécutions ne sont pas les moments les plus intenses. Ils fournissent des séquences d'action et de tension appréciables, sans transformer le récit en blockbuster d'action d'été. Avec ces 4 individus normaux, Ennis sonde les limites des règles qui structurent une société. À l'évidence les criminels transgressent ces règles, les détournent, imposent leur volonté par la force, mettent en péril la sécurité des citoyens, font montre d'un comportement immoral, nocif pour les autres, dangereux pour l'ordre de la société. De manière plus subversive, les membres de la Red Team font l'expérience de la facilité avec laquelle il est possible de passer outre les lois de la société. Ennis ne le montre pas de manière naïve. Il a pris soin d'établir que ces 4 individus savent s'arranger des règles de procédure policière au quotidien, pour faire aboutir leurs dossiers. Ainsi quand ils prennent conscience de leur transgression, quand ils prennent toute la mesure de leurs actes illégaux, Ennis met en lumière bien plus qu'un questionnement moral. Il s'agit d'un mensonge vis-à-vis du reste des individus qui constituent leur entourage, vis-à-vis des institutions policières dont ils font partie. Il s'agit d'une possibilité d'échapper à toute forme de contrôle, à toute autorité, sans grande difficulté.


D'apparence fade et bavarde, ce récit débute sur un postulat usé de policiers décidant de pallier ce qu'ils constatent comme étant des insuffisances d'un système judiciaire inefficace, d'une justice inéquitable. Derrière ces apparences presqu'insipides, Ennis s'appuie sur des dessins professionnels et fonctionnels pour développer une réflexion profonde sur la nature des lois qui régissent une société, leur nécessité et la place des individus qui s'en affranchissent. Le dénouement peut sembler retourner dans un récit policier plus traditionnel, mais la conclusion relève bien de cette réflexion pas si facile, renvoyant 2 membres face à leurs convictions, leur nature. À nouveau Ennis a réussi son pari de s'emparer d'un récit de genre pour s'interroger honnêtement sur une dimension de la nature d'une société humaine.

Presence
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le 6 juin 2020

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