Les auteurs de "L'Envolée Sauvage" reprennent le thème du mal-né, enraciné dans la Deuxième Guerre Mondiale. Dans la série précédente, des enfants juifs, bien entendu persécutés par les Allemands et la Milice; ici, un "Enfant Maudit", qui traîne cette malédiction d'avoir été conçu par un Allemand et une "tondue" de la Libération. Il faut que le thème et le contexte historique leur tiennent à coeur, et leur fournissent des motifs tout trouvés de créer des embûches et de bonnes raisons de fuir aux héros.


Cousu de flashbacks plus ou moins opportunément localisés, le récit tâtonne entre 1945, 1955 et 1968 : le héros, Gabriel, a l'âge de lancer les pavés sur les CRS au bon moment. Devenu ouvrier à Paris, il se fait embringuer dans un mai 1968 de pacotille par une étudiante qui ne lui est pas indifférente, mais qui est déjà maquée avec un mec qui a de la personnalité.


Si l'atmosphère et les décors de Paris-Centre sont finement saisis, on ne saurait en dire autant des "événements" de mai 1968, évoqués brièvement de bric et de broc. Planche 11, symboliser mai 1968 dans une manifestation par l'accolement de deux slogans n'ayant aucun rapport logique entre eux, et même vaguement contradictoires ("Elections piège à con !!" - "Il est interdit d'interdire !") montre bien la désinvolture avec laquelle la couleur locale soixante-huitarde a été confectionnée... Même planche, on voit deux fois une pancarte "La chienlit c'est lui" (c'est De Gaulle qui est visé et caricaturé), qui semble être une réponse au mot "chienlit" prononcé par De Gaulle pour désigner l'insurrection étudiante. Le problème, c'est qu'on nous dit clairement que la scène a lieu le 10 mai 1968, et il se trouve que De Gaulle n'a prononcé publiquement le mot "chienlit" que le 19 mai. Les étudiants ne risquaient donc pas de répondre à De Gaulle à propos d'un mot qu'il n'avait pas encore prononcé... Quant à Gabriel, sa pauvreté d'expression lorsqu'il ne trouve à répéter trois fois que "CRS SS !" (planches 12 et 13) aux flics qui l'embarquent confirme que l'on a sacrifié le réalisme au pittoresque.


Issu d'une famille adoptive rurale (Creuse), Gabriel permet au lecteur de contempler de savoureuses échappées sur la France rurale d'avant la modernité, avec sa rugosité, sa rusticité et le caractère morne et ennuyeux de l'isolement dans une ferme : grandes et robustes armoires, mobilier minimal, passages en arc en plein cintre, éclairage limité favorisant les contrastes lumineux sur les visages; planche 19 : maison à grenier dont l'ouverture est couverte d'un pignon; vieille église rurale tristounette (planche 20); cabane dans un arbre (planche 21). Il ne semble pas que le "Gaudreville-Laforêt", cité planche 26, existe vraiment. Beau morceau d'architecture religieuse planche 26, dans sa froide sévérité d'un autre temps. Le dessin, semi-réaliste, bien travaillé avec des tendances à la caricature, se contente de représentations simplifiées de gradients de luminosité.


Dans sa quête, Gabriel passe sans transition de courtoises bonnes soeurs un peu recluses à des prostituées qui s'interrogent sur son pucelage. Au moins, les auteurs ne sont pas sexistes.


Gabriel est peu à peu orienté par la nécessité d'éclaircir l'identité de ses parents, et l'essentiel du récit est affecté à la description de cette quête. On verra par quelles voies son complexe d'identité, non content de devoir s'affronter à la haine de l'Allemand commune en France dans ces années-là, construit un complexe de culpabilité : être un assassin. De quoi le motiver pour des recherches qui traversent les frontières.

khorsabad
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le 4 sept. 2015

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