A titre si prometteur, à sujet si original, déception proportionnée. "Logicomix" : voilà qui laisse espérer une veine ludique, des casse-tête enrichis par le support bande-dessinée. On se retrouve avec une sorte de biographie trafiquée de Bertrand Russell, hardiment saupoudrée de l'auto-satisfaction des auteurs. Jamais on n'est convié à participer, à jouer. La logique, c'est un vieux truc figé dans une histoire coloriée en marron. Nous, on reste spectateurs.

(Il paraît qu'en 600 avant notre ère, Thalès a du mal de se fier aux récits religieux et aux mythes de son temps pour comprendre comment fonctionne l'univers. Il essaie de penser par lui-même, il pousse des raisonnements, développe des abstractions et invente les mathématiques pures. Et puis vient la philosophie ; mais ces choses sont sans grand intérêt, pourquoi en parler ?)

Logicomix, on ne s'en doute pas, dénigre la logique et préfère s'étendre sur le romantisme moisi du jeune Russell, la rigidité maladive de Hilbert, les délires mystiques de Wittgenstein, le fascisme de Frege ou la bigoterie de Cantor. Du mélo et des raclures de bidet. On effleure les théories, on romance les drames humains, on mobilise des anecdotes sordides, sans oublier de compiler des indices de surmenage pour montrer que les logiciens portent forcément une part inquiétante de folie. Ah, le fameux duo logique-et-folie, formule magique... Que ça soit pour "humaniser" la discipline ou pour la discréditer, quel moyen pratique d'évacuer le sujet sans se pencher dessus, de rester trop frileux pour oser nous y perdre à notre tour, dans cette folie sans fond.

Alors noyons cette ennuyeuse logique dans un magma de making-of et de fables. Les maths, on a compris dès l'école primaire que ça ne sert à rien, c'est chiant et pas glamour, donc on s'en fout. Et puis, à la fin, il faut retourner à la chaleur du mythe ; les tragédies flamboyantes, elles, peuvent toucher un absolu, alors que la raison n'est qu'une prison. Thalès est à poil et on se touche la nouille. L'austère quête des vieux logi-fous-ciens enterrés est un délire morbide et ridicule, une mauvaise farce poussiéreuse.

Pour remplir des pages et montrer qu'on est dans un "roman graphique" (pouah) qui pèse lourd dans la main, les auteurs n'oublient pas de se mettre eux-mêmes en scène pendant la moitié du bouquin, qu'on sache qu'ils sont sympathiques et malicieux, plus humains et humbles que leurs arrogants personnages tirés du passé. Se regarder le nombril quand on parle de logique, voilà justement le paradoxe des paradoxes, en acte celui de Russell, même ! Le pied de nez est peut-être volontaire, ou bien c'est un symptôme, manifestement éludé en tant que tel ; en tout cas ça n'engendre rien que du bavardage et de la complaisance.

En matière de bande-dessinée, laissez tomber. Le scénario parvient à être bordélique, la mise en page boursouflée n'arrange rien ; tous ces effets qui se veulent audacieux déclinent la maladresse générale. On voit que l'illustrateur a travaillé dans l'animation, son style découle d'un cahier des charges, c'est raide et ça pue l'ennui servile.

Il reste un index dans lequel on peut piocher, ça peut servir à l'occasion.

Si vous voulez jouer un peu, essayez L'Ours Barnabé. Comme ça éveille, c'est rangé au rayon des petits enfants.
poulet
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le 12 oct. 2013

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