« Je déteste Hollywood ». Dès son arrivée à Berlin en 1928, Louise Brooks annonce la couleur. Si elle a traversé l’Atlantique pour venir tourner le film « Loulou » sous la direction du réalisateur expressionniste allemand Georg Wilhelm Pabst, c’est parce que l’actrice américaine refuse de se soumettre aux diktats des studios hollywoodiens. Alors au sommet de sa gloire, la jeune femme n’accepte pas la réduction de salaire que veut lui imposer la Paramount. Elle décide du coup de rompre son contrat, ce que les grands studios lui feront payer très cher par après. Avec ses cheveux courts et son regard charbonneux, Louise Brooks est la figure de proue des « flappers », ces jeunes femmes au physique androgyne qui profitent des années folles pour enfin s’affranchir des corsets, au propre comme au figuré. Louise est une insoumise: elle boit, multiplie les amants et passe toutes ses nuits à danser le charleston. Pas étonnant donc que Pabst ait pensé à elle pour interpréter le rôle de Loulou. Le réalisateur allemand voit en effet son héroïne non pas comme un personnage réel mais comme « la personnification de la sexualité primitive qui provoque le mal sans en avoir conscience ». Une chose est sûre: la carrière de Louise Brooks ne sera plus jamais la même après ce film. De retour à Hollywood, elle refuse de prêter sa voix à la version parlée de « The Canary murder case », un film muet dans lequel elle avait joué quelques mois auparavant. Une nouvelle fois, Louise n’en fait qu’à sa tête. Mais cette fois, elle ne remportera pas la partie. Snobée par Hollywood, elle ne tournera presque plus et tombera progressivement dans l’oubli. Jusqu’à ce que Henri Langlois, un critique de cinéma français, redécouvre la bobine de « Loulou » dans les années 50 et déclare: « Il n’y a pas de Marlène! Il n’y a pas de Garbo! Il n’y a que Louise Brooks! »


Louise Brooks est un mythe. Tout le monde connaît son visage, qui est d’ailleurs magnifiquement dessiné par Joël Alessandra sur la couverture de cet album. Et bien sûr, sa fameuse coupe à la garçonne a été adoptée depuis lors dans le monde entier, y compris par des dizaines d’autres actrices hollywoodiennes. On parle même d’une coiffure « à la Louise Brooks » pour désigner cette coupe au carré. Et pourtant, peu de gens ont vu ses films et surtout, beaucoup ignorent le destin tragique de cette femme trop en avance sur son temps, et notamment qu’elle fut violée durant son enfance et mourut d’une crise cardiaque en 1985, après avoir vécu l’essentiel de sa vie dans une grande solitude. D’où l’intérêt de cette biographie dessinée certes classique mais très réussie, dans laquelle la scénariste Chantal van den Heuvel et le dessinateur Joël Alessandra racontent comment la petite Mary Louise Brooks, née dans le Kansas en 1906, est devenue une véritable légende. En partant du tournage de « Loulou », qui est à la fois son film le plus important et celui qui marque le début de sa chute, Chantal van den Heuvel remonte le temps pour nous dévoiler petit à petit la vie et la personnalité de Louise Brooks, de son enfance dans l’ombre d’une mère peu aimante jusqu’à son irrésistible ascension dans la danse contemporaine. Déjà à cette époque, la jeune Louise s’amuse à susciter le scandale et mène une vie très libre. Déjà à l’époque, son mode de vie lui crée des ennuis. Une fois repérée par le milieu du cinéma, c’est également cette soif inextinguible de liberté qui entraînera son bannissement de Hollywood dans les années 30, au moment de l’avènement du parlant et de la crise économique. « Je suis le poignard de ma propre plaie », reconnaissait-elle lucidement. « Louise, le venin du scorpion » raconte le parcours étonnant d’une étoile filante du cinéma muet.


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matvano
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le 30 mai 2016

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