Et c’est parti pour la troisième trilogie de la série, alors qu’initialement, il devait n’y en avoir qu’une ! Soyons juste, bien que les aventures du beau corsaire blond et d'un hideux inconnu à l'oeil droit cramé dominent l’ensemble, Mitton a consenti des efforts considérables pour pratiquer des ruptures chronologiques assez nettes d’une trilogie à l’autre. Première trilogie : la Révolution Française en ses débuts, 1789-1792 ; deuxième trilogie : Napoléon Ier autour de l’établissement de l’Empire, et les guerres napoléoniennes, 1804-1805 ; troisième trilogie : la Restauration et la question esclavagiste, 1815.

La documentation est plus poussée pour cet album que pour les précédents. L’idée historique est de situer l’action parmi les royalistes émigrés en Amérique du Nord, qui se sont enrichis dans le commerce du coton, de la canne à sucre et du rhum, avec d’autant plus de profits que la main-d’œuvre qui se tape le boulot est constituée d’esclaves noirs, considérés comme des animaux (c’est la définition de l’esclave qui traîne déjà chez Aristote).

Deux éléments constituent le moteur de l’action : tel Schindler et sa liste, Yann Le Scorff hante les marchés d’esclaves qui se tiennent sur les lieux de débarquement, et rachète avec sa fortune tous les esclaves possibles afin de les libérer sur-le-champ. On comprend que les propriétaires esclavagistes ne soient pas emballés par cet idéaliste manchot qui vient leur casser le travail en raréfiant la main-d’œuvre bon marché, et en affirmant des principes d’égalité, d’humanité et de fraternité qui font désordre dans la bonne conscience raciste de l’aristocratie locale.

Deuxième moteur : un individu à chapeau suit Yann partout, lui sauve bizarrement la mise en deux circonstances délicates (planche 19, planche 44), puis détruit toute la propriété de Yann en massacrant les Noirs avec une sauvagerie toute particulière. Tout le monde comprend de qui il s’agit, bien que son visage lacéré ne soit jamais clairement montré.

Donc, Yann est toujours idéaliste version « Vaillant » des années 1945-1969, et le mal-monstrueux est immortel. Le Bien et le Mal, on n’en sort pas. Mitton fait tout ce qu’il peut pour mettre en valeur le racisme anti-noir des aristocrates-exploiteurs de Louisiane (planches 4 à 8), tandis qu’il anticipe sur l’abolition de l’esclavage en faisant de Yann un précurseur de Victor Schoelcher (planches 9 à 12) (quatre planches de chaque mouvement, belle symétrie.

Côté documentaire, donc, Mitton exploite ou détourne des données bien réelles. Planche 1, l’itinéraire pris par le navire pour entrer dans le delta du Mississippi est logique : on dépasse Cat Island pour entrer dans le Lac Borgne, en laissant bien à droite la Pearl River ; on prend la passe qui mène au Lac Pontchartrain en passant devant Fort Pike. La ville de Métairie, où se tient le marché aux esclaves, se trouve juste sur la rive Sud du Lac Pontchartrain.

Yann croise du beau monde, même si ce n’est pas pour bien s’entendre avec lui : Davy Crockett en personne (qui cède à l’idéologie esclavagiste, en dépit de sa légende). La réception dans la demeure de La Fayette (qui, a priori, n’était pas en Amérique à cette date...) est une anthologie de noms célèbres destinées à rehausser l’image de Yann et à lui conférer une dignité historique. (planches 21 à 24). Madame Récamier est supposée avoir transféré son salon en Louisiane, avec son entourage classieux : Benjamin Constant, Madame de Staël, Chateaubriand, Dumont d’Urville (planches 22-23). Aucun de ces personnages n’était en Amérique à cette date.

On peut se demander comment Yann a pu devenir si riche, surtout s’il refuse les profits tirés de l’exploitation des esclaves. Son indignation excessive et militante face aux grands de ce monde a quelque chose d’un purisme marxiste-léniniste, mais dont la vraisemblance est ténue (planche 24). Quant au scandale Récamier (planches 37 et 38), il est particulièrement invraisemblable.

L’érotisme est un peu moins envahissant que dans les tomes précédents : une grosse dondon à poil, maquerelle en chef, élégamment vêtue de trois cocardes tricolores bien placées (super tendance) (planches 15 et 16), braillant patriotiquement « Le Chant du Départ ». Surtout, quand le beau Yann (peu marqué par les années qui passent) se fait Madame Récamier (planches 29 à 37), Mitton revient à son lyrisme favori, avec des envolées poétiques de Yann sur le thème des charmes exotiques des rivages tropicaux et des manœuvres de navigation...

Cet itinéraire permet à Félix Molinari de nous offrir de belles images de bayous, de Noirs en train de repiquer du riz. Belle résidence de La Fayette (planche 21). Scènes de quadrille chic (planches 25 et 28).

Comme à l’accoutumée, Mitton ne lésine pas sur les grands effets émotionnels, le sang et le sexe, en violentant copieusement la réalité historique pour décorer son récit. Mais l’atmosphère des lieux et de l’époque est convaincante.
khorsabad
7
Écrit par

Créée

le 8 oct. 2014

Critique lue 89 fois

khorsabad

Écrit par

Critique lue 89 fois

D'autres avis sur Louisiane... l'enfer au paradis - Les Survivants de l'Atlantique, tome 7

Du même critique

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

36 j'aime

14

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7