Le scénario compliqué de ce récit en rend la lecture assez lente. L'essentiel est qu'il se trame une invasion du monde réel par le monde virtuel, préparée par des génies informatiques, eux-mêmes passés dans l'au-delà virtuel, ou par des personnages qui sont de purs artefacts informatiques, mais qui ont pris une substance concrète par divers procédés (Lucy - on ne s'étonne pas qu'elle porte le nom d'une créature préhistorique supposée être une sorte d'Eve scientifiquement tolérable).
Le plaisir qu'on peut prendre à ce récit vient de la manipulation de procédés informatiques complexes pour franchir la frontière entre réel et virtuel, au point qu'il est difficile de repérer le moment - et donc le lieu - où l'on bascule de l'un à l'autre. Tous les geeks de la planète peuvent se sentir concernés, et avertis des dangers de se laisser aller à un tel mélange des référentiels. Mais le scénario se complaît plutôt dans une telle confusion, et en fait un argument dramatique.
Comme toujours chez Lamquet, la recherche des décors est méticuleuse: New York sous la neige, HongKong (transition très réussie entre deux pancartes indicatrices pour le changement de lieu, planche 39). Belles réussites plastiques de "Jennifer" sur fond de nazis rouges (planche 10), des contrastes entre flous et nets (décors de neige, luminosités cybernétiques), de Kimberley et Molmol en postures de dieux hindous (planche 33). La richesse de la gamme des couleurs est en harmonie avec l'atmosphère des néons criards de New York et HongKong.
Les scènes de sexe constituent un agréable contrepoint, quasiment oxygénant, à l'enquête cybernétique grésillante d'artefacts électroniques désincarnés, et reposant sur la représentation fantasmatique dans laquelle les sens et leurs pulsions trouvent assez peu leur compte. Norge cocufie Chu sous ses yeux avec Olga / Jennifer, jamais en reste d'un déshabillage quelconque.
Demande une attention soutenue - et un peu d'esprit critique - mais c'est du beau travail !