Ma'at
7.1
Ma'at

BD de Simon G. Phelipot (2007)

"Difficile de parler MA’AT. Ce n’est pas un livre qui se donne facilement."

La série Ma’at peut être facilement qualifiée d’hermétique. L’auteur ne met rien en scène pour en faciliter la compréhension, ni dans son découpage, ni dans ses dialogues, ni dans la réalisation graphique elle-même. Le récit se veut initiatique, métaphysique ; décrire la fin d’un monde et la genèse d’un autre, développer un personnage hors norme, et un amour qui ne l’est pas moins, enfin, et surtout, mettre en place un chaos permanent, une atmosphère d’implosion mêlée de nostalgie.

Les qualités qu’on peut d’emblée lui reconnaître, c’est justement la virtuosité graphique des planches. Chaque case pourrait être admirée, et présentée comme une illustration individuelle, voir une œuvre en soi. La diversité des techniques employées rend indéfinissable le mode opératoire de l’auteur, et s’accorde, selon moi, à son projet d’esthétisation du chaos. L’auteur n’hésite d’ailleurs pas à scinder en case une seule et grande illustration, à passer sans cesse d’une vision à une autre, sans explication, voire d’un point de vue intérieur à un autre.

Dans une interview, Simon Goinard définit comme sa priorité de « se créer une liberté », le moteur de son travail étant, d’après lui toujours, les sentiments, et la nécessité de les laisser s’exprimer de manière totale.

A mon sens, chaque tome représente une sorte de fresque, dont le but principal est l’esthétique, et qui comporte le même type de problème à la lecture. Le premier est celui des deux dont le scénario est le plus « solide » étant donné qu’il vise l’introduction de l’univers, de ce que représente Isis, le personnage principal, etc.

D’un point de vue contextuel, je trouve intéressant de mette en valeur cette série, quand on sait qu’actuellement plus que jamais, on pose la question de la Bande dessinée en tant qu’Art, en tant qu’objet.
La série Ma’at présente encore une fois un paradoxe, ici, puisqu’elle se veut picturale, poétique, onirique, voir purement esthétique (et on pourrait rapprocher cette démarche de celle de la maison d’édition belge FRMK) plutôt qu’en tant que récit, mais que l’auteur s’est orienté vers un genre jugé non-noble, à savoir la science-fiction, qui a tendance à attirer d’avantage un public de jeunes, voir de rêveurs, qu’un public d’érudits.

De même, malgré la tendance de la SF à la critique du système, Ma’at, qui présente une société totalement libérale et futuriste, ne représente en rien une utopie noire, où les héros sont victimes du système : au contraire, le destin des personnages semble plutôt régi par leur propre naissance, liées à un destin qui leur échappe, et qu’on pourrait rapprocher du fatum latin.

Logiquement, si on part de ce principe, les tribulations et cheminement des personnages sont principalement intérieurs. La naissance et l’essence des deux personnages principaux est issue des manipulations scientifiques de leurs géniteurs, prêts à tout pour voir jusqu’où pourrait aller leurs capacités scientifiques, mais on ne peut pas rattacher ça à une forme de terrorisme/idéalisme latent. Isis, elle-même, ne réagit pas en fonction de la société, ou contre elle, elle réagit égoïstement, et de manière sentimentale aux choses qui lui arrivent. La non-gestion de sa propre matière (et donc la fin du monde) est exclusivement liée à son ressenti, et à ses psychoses de femme.

Bref. Pour moi, Ma'at est un ovni qui vaut la peine d'être regardé, vraiment, qui est certainement discutable, et dont j'aimerais pouvoir parler, parce qu'elle m'intéresse vraiment.
Minuitetdemi
7
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le 29 mars 2013

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Minuitetdemi

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