Une visée particulière préside à la publication de ce one Shot sur Marie Antoinette. Jacques Glénat nous l'explique :



"Lors d’un entretien avec Catherine Pégard, présidente du Château de
Versailles à propos des albums de BD que nous avons réalisés ensemble
(« Le Crépuscule du Roy » et « L’Ombre de la Reine »), nous avons
discuté de la manière d’intéresser le public japonais qui visite le
monument. En tant qu’éditeur historique de BD et de manga en France,
j’ai naturellement proposé de créer un ouvrage adapté"



L'article complet est disponible ici
Et là, lecteur, tu commences à comprendre le titre que j'ai choisi de donner à cette critique.


Je peux néanmoins saluer la démarche. Bien évidemment. Les Japonais démontrent depuis longtemps leur intérêt pour cette figure emblématique de notre histoire et son écrin (Versailles et le hameau). Force est de constater que les propositions fictionnelles qui retracent la fresque de la période et plus particulièrement du destin de la jeune souveraine assument un parti pris romancé. A priori, la démarche franco-niponne sur ce coup-là, si on en croit Glénat, est de proposer davantage de neutralité, un aspect plus "documentaire" en somme, donc in fine plus de crédibilité historique.
En surface, ce manga peut y parvenir : décors, costumes, citations, faits consignées, ect...bref, les recherches sont sérieuses, donc pas de fantasies avec le cadre, le contexte et l'événementiel.
Mais par nature, un manga reste un récit. Une proposition de narration. Or, tout récit est par nature subjectif.
C'est quoi l'intérêt du coup, par rapport à un livre d'histoire illustrée ou une bd "Il était une fois" ? C'est plus vendeur.
Et dès lors que l'éditeur vend son produit dans l'hexagone, sa comm' devient un tantinet crispante. Déjà, la stratégie sous tendue par la phrase : " ce n'est pas pour reproduire une énième icône malmenée par la vision trop partiale de Stephan Zweig" nous fait miroiter de la vérité historique avec ce que j'estime être beaucoup de culot et d'orgueil. Etre l'anti Sweig, rien de moins... Sachant que Sweig a eu en dépit de son portrait sans concession de la souveraine, la délicatesse d'au moins tenter une approche psychologique assez fine. Bref, le lecteur de manga qui n'a pas lu Sweig pourra dire qu'il a lu mieux. Permettez que j'esquisse un sourire, monsieur/madame le/la chargé(e) de commm' de Glénat.

On pourrait d'ailleurs s'interroger sur la signification de cette assertion " icône malmenée". Le récit de Sweig serait-il plus mensonger ? S'agissait-il de nous rendre Marie Antoinette plus sympathique que ne l'avait fait Sweig, ce "partial" ? Dire cela revient à affirmer de façon simpliste que Sweig n'a fait que "descendre" Marie-Antoinette. Or, il en a justement restitué toutes les facettes, toute la profondeur.
Et au moins, il s'appuyait sur des sources pour profiler psychologiquement son sujet (notamment sa correspondance). Après, il n'a jamais eu la prétention d'écrire autrement qu'en romancier.


Glénat, pitié, comparez donc ce qui est comparable. Une biographie de 500 pages vs un manga en mode histoire illustrée de 180.


Dès lors, quand on nous parle de "restituer dans la réalité historique une jeune fille dénuée de tout artifice", attention, car le problème, c'est que comme ses prédécesseurs, Fuyumi Soryo est bien forcée d'avoir une interprétation subjective du personnage de Marie Antoinette. Pour preuve son parti pris de signifier que les époux éprouvent de la complicité...
Cette vérité de papier glacé, tout aussi iconique que celle de ses prédécesseurs, place pourtant selon son éditeur son récit à meilleure distance de la vérité que d'autres. Je crois que franchement elle n'en demandait pas autant.


Enfin, on nous dit que "ce n'est plus un simple manga, mais une plongée virtuelle au cœur de la cour au XVIIIe siècle que l'auteur vous offre". Comme s'il fallait donner une valeur ajoutée (factice) pour mieux nous convaincre de la noblesse de la démarche. Prends ça, La rose de Versailles !


N'en jetez plus Glénat. Vous n'êtes pas sérieux. Ni honnêtes. C'est comme si Ki-oon avait vendu son Ad Astra à grand renfort de comparatisme avec Asterix.


Revenons à la substantifique moelle que l'éditeur veut mettre en valeur : l'histoire. Avec un grand H. De quoi se targuer de faire mieux que Sweig ? Histoire avec un grand H ou commerce avec un grand C ?

Car que propose le manga en guise de fondements historiques ?
1) un enfonçage en règle de portes ouvertes (Versailles comme espace coupé des réalités du peuple, problèmes budgétaires, apathie affichée de Louis XVI, morgue nobiliaire, ect...).
2) de l'histoire historisante (architecture, art, raideur codifiée de l'étiquette, grandes figures emblématiques, ect..).


Sur le dernier point, qui fort à propos permet à l'éditeur de vendre son manga en France aussi bien qu'au Japon, certes, nous en prenons plein les yeux, un peu comme avec le manga Cesare, justement, car le talent de Fuyumi Soryo n'est plus à démontrer concernant les décors (meilleurs sans doute que sa conception de la beauté masculine occidentale). Mais cette qualité et ce sérieux de travail de recherches, avec une supervision par le conservateur général du patrimoine, même si elle est appréciable, même si elle est le gage d'une restitution honnête d'un environnement (et une caution morale bien mise en avant...) , n'est en rien celui d'une véritable histoire, comme l'affirme l'éditeur et dont certains "critiques" a priori non historiens, se font l'écho complaisant.


Arrêtons de dire que c'est ENFIN de l'Histoire sur Marie Antoinette. Cela ne va pas plus loin qu'un speech de guide touristique l'été à Paris.
Ou alors il faut se mettre d'accord sur ce que sont les fondements historiques et s'il faut grimper au rideau dès qu'un mangaka fait son boulot de crédibilité des décors... En bref, vous avez la forme de la crédibilité historique, le fond, lui, n'est pas autre chose que du roman historique.


Les japonais n'ont pas Stéphane Bern... mais les français, si...
Par contre, si d'aventure vous avez déjà visité Versailles (et n'avez donc point besoin de la découvrir en manga), si vous avez déjà écouté tous les poncifs évènementiels sur la période, et si vous voulez vraiment comprendre qui était Marie-Antoinette, et ce via une véritable démarche d'historien, en allant directement à la source, vous lirez avec profit la monumentale édition de la correspondance de Marie Antoinette, établie et présentée par Evelyne Lever.


Marie-Antoinette, La jeunesse d'une reine n'est pas un travail de biographe. C'est de l'histoire de l'art à usage touristique, agrémentée de quelques poncifs d'histoire pour les juniors et saupoudrée d'une pincée de subjectivité bienséante.


Alors non, Marie-Antoinette, La jeunesse d'une reine n'est pas le premier essai concluant sur l'intimité de cette jeune fille déracinée, c'est avant tout une (jolie) description de l'écrin qui a accueilli.

_Andrea_
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le 25 sept. 2016

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_Andrea_

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