Ce tome se distingue des précédents par une mise en valeur beaucoup plus nette des aventures personnelles des personnages fictifs, dont les problèmes psychologiques commencent à prendre du relief par rapport à la cohue bruyante des guerres et des atrocités diverses qui nourrissaient les premiers albums de la série. Historiquement, on est dans la transition entre les années 58 à 57 avant Jésus-Christ, où, après la défaite des Helvètes, puis des Suèves d'Arioviste (rappelée planches 1 et 2), les efforts de César se portent sur les nombreuses tribus belges qui, à leur tour, gagnent du terrain au Nord.

Pour offrir un panoramique de "La Guerre des Gaules" (dont on commence à utiliser le Livre II), Simon Rocca était contraint de faire voyager Ambre, car tous ces conflits ont lieu dans des régions différentes. Astucieusement, le moteur principal du voyage est que, Ambre étant enceinte, elle veut mettre son enfant au monde en Bretagne (Angleterre, dans la terminologie romaine), région dont elle est originaire. Non seulement cela la fait se diriger vers le Nord (Lutèce), mais encore la menace germaine l'oblige à faire des détours par l'Ouest (planche 4), ce qui conduit Ambre et Milon à entrer dans des régions où se produisent encore des sacrifices humains.

A partir de là, on ne voit plus qu'Ambre et Milon en vedette. César n'apparaît plus que dans cinq planches, grossièrement au début et à la fin de l'album (planches 1 à 3, 36, 46), concluant la campagne contre Arioviste, allant régler ses comptes à Rome avec ses collègues du triumvirat, et obtenant du Sénat deux légions supplémentaires (la XIII et la XIV), malgré l'opposition de Caton et de Cicéron.

Ambre est toujours aussi bêcheuse et méfiante vis-à-vis de Milon, qui se comporte pourtant avec franchise et générosité envers elle, et ce n'est pas un deux baisers rapides qui vont adoucir cette impression générale. Plus surprenant : Milon, tel un bon vieux défenseur des droits de l'homme, se révolte contre les sacrifices d'enfants encore en vigueur en Gaule, et, tiens, justement, Ambre est enceinte... Cette indignation morale de Milon est peu crédible dans le contexte de l'époque, où les enfants étaient en masse réduits en esclavage, exploités sexuellement, exposés à leur naissance quand leur mère n'en voulait pas.... Le point de vue de Milon est excessivement "moderne".

Le procédé qui consiste à donner la parole ("je") au personnage éponyme du titre de l'album trouve encore plus ses limites que dans le tome précédent : la narration générale se passe très majoritairement du témoignage de Milon. Autre réserve : l'emploi spectaculaire et quasi "stratégique" du pouvoir de Milon d'attirer la foudre. Cette présence d'un surnaturel "efficace" dans une série par ailleurs très réaliste détonne considérablement. Milon n'en côtoie pas moins des personnages réels : Diviciacos, Publius Crassus, et Celtill, le futur Vercingétorix (planches 32 à 35).

Les dessins reconstituent avec bonheur et conviction les paysages ruraux de la Gaule profonde : chaumière en bois assis sur un rez-de-chaussée en pierre (planche 8), arbres-sorciers ornés d'objets et de gravures magiques (planche 10), pauvre village avec maisons et murs bas, mobilier de bois et petits enclos (planches 17 à 30). En, contraste, la villa de César sur le Janicule (planche 36) fait mieux ressortir la prospérité romaine. Très belle scène de sacrifice barbare, planches 42-43, avec un druide obscurantiste et fanatique à souhait.

Ce tome, d'atmosphère à la fois plus intimiste (beaucoup de scènes se passent à l'intérieur d'habitations) et plus "barbare", fait ressurgir avec pertinence la tristesse et la vie fruste des paysans gaulois de l'époque. On félicite Ambre de rendre fous tous les beaux mecs qui lui courent après au péril de leur vie, tout en les récompensant si mal !
khorsabad
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le 14 nov. 2014

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