Mixture magique - Akissi, tome 5 par khorsabad

L'exploration du monde d'Akissi, petite fille ivoirienne habitant les faubourgs populaires d'Abidjan, se fait décidément sur le mode thématique. Dans ce volume, quatre petits récits (en moyenne un peu plus longs que dans les albums précédents) évoquent l'imaginaire, les croyances populaires, les contes inquiétants qu'on se raconte dans les villages, les marabouts, magiciens, envoûtements, monstres et tout ce qui tourne autour de cette "autre scène".


Le récit-titre évoque un désenvoûtement sur la personne d'Akissi, liée au fait qu'elle préférerait avoir une petite soeur plutôt qu'un petit frère. On y relèvera des éléments exotiques, dont le moindre n'est pas l'inconscience avec laquelle les femmes locales envisagent d'avoir un nouvel enfant, sans s'interroger le moins du monde sur les possibilités de le faire subsister à long terme, de l'éduquer et de lui trouver un travail. On dirait que ces dames s'ennuient, et que, dès qu'un enfant va à l'école, il leur faut en faire un autre pour savoir que faire de leurs journées. Lesdits enfants, devenus grands, s'empresseront évidemment d'aller chercher du boulot ailleurs que dans un pays déjà surpeuplé, d'où les conflits interethniques qui se mondialisent chaque jour. Rassurez-vous, Akissi ne nous parle pas de ce qu'il advient des enfants devenus adultes. Tu parles d'une attitude responsable ! Bon, ceci dit, il y a un marabout dans l'affaire, et il est encore plus arrogant que nos gourous locaux, c'est dire !


A la fois ironique, parfumé et bien construit, le second récit est un récit de quête, qui respecte en peu de pages les codes du conte initiatique traditionnel. Pour ressusciter son singe Boubou, Akissi doit aller chercher une crotte (magique, on suppose) du monstre Chachatonga; rien ne manque à la structure : l'annonce des dangers de la quête, les cadeaux offerts par l'entourage au départ, la personnalisation des éléments (on peut parler avec le fleuve et avec la forêt); à chaque obstacle, Akissi se sert de l'un des cadeaux qui lui ont été donnés au départ; et, au retour, le monstre, lui, se fait avoir chaque fois qu'il veut traverser les mêmes obstacles. Les contes de Grimm ne font pas mieux, et on peut apprécier le caractère universel de ces structures narratives. Evidemment, l'objet de la quête n'étant pas le Graal, mais une merde ressusciteuse, on appréciera l'élément parodique.


Les deux derniers récits mettent en scène Monsieur Adama, l'instituteur sévère d'Akissi, dont la tête ne lui revient pas du tout. On a évidemment affaire ici à des fantasmes à la fois apeurés et vengeurs d'Akissi, qui nous présente Adama comme le roi très laid d'un pays où les gens sont très laids (heureusement, il y a Akissi avec sa salive magique...), et, dans l'autre récit, comme un rapace qui traque Akissi et ses copains; on aimera peut-être (ce n'est pas certain) la présence de Maître Yoda ("Dayo") et de sa curieuse syntaxe dans ce dernier conte.


Le lecteur aura peut-être du mal à passer de l'univers réaliste et bien documenté des albums précédents aux dérives féériques, fantastiques et fantasmatiques des récits de cet album. Ils reflètent l'amplification dans l'imaginaire des problèmes d'adaptation au monde éprouvés par les enfants, tout en renseignant sur la perception qu'ont les petits ivoiriens de leurs relations avec la nature, les adultes, l'école et la maladie. Ce n'est déjà pas si mal.

khorsabad
7
Écrit par

Créée

le 10 avr. 2015

Critique lue 479 fois

khorsabad

Écrit par

Critique lue 479 fois

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14