Parvenu à la dernière case de La Fin du Faucon Noir, un sentiment de fin positive s'empare du lecteur, qui se demande s'il est vraiment nécessaire de lire la suite des aventures de Barbe-Rouge.
Mais la curiosité n'aidant que très occasionnellement, les pistes narratives laissées ouvertes poussent à voguer plus loin encore dans les eaux troubles de la célèbre collection de Charlier-Hubinon, quitte à rester empêtré dans une Mer des Sargasses.
Eric et Barbe-Rouge parviendront-ils à quitter la vie de piraterie ? On se doute bien que non !
Mais quel rôle la belle Dona Inès va jouer dans cette nouvelle page des aventures d'Eric ? Va-t-elle devenir pirate et convaincre Eric à enfin se laisser aller à cette vie ? Va-t-elle mourir assassinée après avoir longtemps vécu paisiblement avec Eric ? Sa mort due à l'époux qu'elle a quitté pour suivre Eric fera-t-elle naître en le fils adoptif de Barbe-Rouge ce désir de vengeance caractéristique des pirates ?



Un départ décevant ...



Eh bien ...
Dona Inès est expédiée hors de l'intrigue avant même que ne s'ouvre le nouveau récit: implicitement, on comprend qu'elle a été débarquée quelque part en Espagne. Devant le San Ildefonso rebaptisé L'Aigle des Mers qui surgit en première case, il faut se faire une raison: Dona ne reviendra pas dans cette nouvelle aventure. Peut-être réapparaîtra-t-elle dans une aventure future ? A un moment inattendu ? A ce moment de la lecture, une chose est sûre, plusieurs belles pistes narratives sont sacrifiées pour ce nouveau postulat de départ: Barbe-Rouge a rejoint son repère de façon honnête sur un bateau sorti du chapeau de Charlier et Eric, après avoir débarqué Inès et ses suivantes, repart en mer pour retourner sur l'île du Démon.
Avant ces retrouvailles, deux grosse péripéties inégales: d'abord une escale dans un port censé n'abriter en général que quelques rares voyageurs hasardeux, ensuite une autre escale à Tortuga.
Lors de la première escale, l'équipage du Seeadler découvre toute une armada amassée en secret pour préparer une attaque de l'île de Barbe-Rouge dont la situation géographique a été révélée par un traître dans l'équipage du pirate borgne.
Nous ne saurons pas qui est ce traître mais, en revanche, l'intrigue introduit Budlinglow, un Commodore britannique qui se distingue des antagonistes déjà apparus par son ridicule mais aussi par sa cruauté totalement inédite dans la série Barbe-Rouge.
Après avoir piégé toute cette flotte dans la rade par un subterfuge qui se défend mais peut laisser sceptique, Eric décide de voguer vers Tortuga pour demander l'aide de Stark le Noir pour sauver son père.
C'est là la deuxième escale qui, elle, est vraiment vivante mais totalement stupide.
Si l'on offre au lecteur une belle scène de duel entre Eric et Stark le Noir, c'est au prix d'une folle invraisemblance scénaristique ! Eric fait un détour par Tortuga, perdant son avance considérable sur Budinglow, pour monter une armée à même de tenir tête à l'armada trop puissante pour son faible équipage et celui de son père. Mais au lieu de chercher à convaincre Stark le Noir, au lieu d'argumenter, il l'insulte et l'humilie. Cette démonstration de force lui vaut l'admiration des autres pirates. Au lieu d'user de cette admiration pour réunir une flotte consistante, Eric reproche à ses alliés potentiels de ne pas avoir tout de suite rejoint sa cause et les insulte. Il repart donc bredouille, aussi faible qu'avant mais aussi en retard sur la flotte ennemie avec une autre flotte à ses trousses.
Difficile de faire plus ... stupide ...



... pour un final explosif !



Mais le final vaut bien ces errements !
A lui seul, il laisse un excellent souvenir de l'album: il sauve un album très mal parti !


Car le final va se dérouler intégralement dans l'île du Démon qui sert de repaire à Barbe-Rouge. Dans un décor qui attire le lecteur et qui ne s'est jusqu'ici dévoilé que partiellement dans deux albums de la série: Le Démon des Caraïbes et La Fin du Faucon Noir.
Le beau final de Mort ou vif va permettre de mieux découvrir cette île jusque dans ses cachettes le plus incroyables, son immense volcan, son aspect plus naturellement hostile que paisible et ensoleillé.


Double piège pour le pirate roux à la fin de Mort ou vif: pris en tenaille entre les armées de Budlinglow et les signes avant-coureur de l'éruption volcanique de son île, Barbe-Rouge n'a jamais été aussi en danger !
Si l'album s'est fait paresseux dans ses deux premières parties, il fait preuve d'une grande force visuelle et d'un véritable courage narratif dans cette dernière partie.
L'ennemi, jusque là un simple ivrogne naïf, s'avère bien accompagné, puisqu'il possède toute une armée de chien entraînés à chasser les esclaves en fuite, et d'une cruauté sans limite au point de faire naître la terreur, l'horreur et le dégoût dans le coeur de ses propres soldats, puisqu'ils décide in fine de sacrifier tous ces chiens pour en faire des bombes vivantes !
L'Ennemi avec un grand E majuscule, c'est aussi et surtout la Nature qui cherche volontairement à tuer les humains. Face à ce dernier antagonisme, plus de camps mais des soldats et des pirates en déroute, dépossédés de tout pouvoir !
Le tout dans une scène de fin du monde visuellement impressionnante, toute de flammes, de rivières de lave et de vagues déchaînées, une tempête et un raz de marée naissant de l'ire du volcan ! Une apocalypse telle que la première de couverture même vante ce final au risque de déplaire aux adeptes de l'anti-spoiler.
Et enfin, une fin cruelle, sombre, ironique et incroyablement innovante dans la série. Pour s'en rendre compte, il suffit de la comparer aux attentes que l'on a avant de lire cet album, que l'on a arrivé à la fin de La Fin du Faucon Noir. Force est de reconnaître que l'on s'attendait à tout sauf à ça:


Dans le carnage volcanique, rien n'a survécu Eric, Barbe-Rouge, Baba et Triple-Pattes exceptés. Naufragés sur l'île voisine de celle qui leur a servi de repaire durant plusieurs décennies, les quatre pirates sont contraints de jouer les Robinson dans l'attente d'un secours miracle ... qu'on devine lié à la flotte du terrible Stark le Noir ?


Mort ou Vif est donc bien nommé: soit, séduit par l'excellent final, on décide de continuer l'odyssée du Démon des Caraïbes (VIF) soit resté sur la mauvaise exploitation de Dona Inès et sur le ridicule de la péripétie de Tortuga, on décide de quitter le navire (MORT)
Mais quoi qu'il arrive, on passera un bon moment en lisant l'excellent final de l'histoire et on aura vu l'île que l'on attendait de voir plus en détail depuis le premier album.

Frenhofer
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le 1 juil. 2018

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