Par les chemins noirs
7.1
Par les chemins noirs

BD franco-belge de David Beauchard (2008)

La violence, présente tout au long du récit, peut être classée entre:
* pulsions batailleuses de la part de soldats qui ne sont pas encore vraiment sortis de la guerre,
* manigances criminelles de diverses mafias qui mettent à profit la fièvre révolutionnaire pour piller et commettre quelques exactions,
* opérations militaires de la part des "Arditi" qui soutiennent D'Annunzio,
* et gestes de légitime défense de la part d'innocents (enfin, pas tous), qui cherchent à sauver leur peau.

La trame historique est sérieusement étudiée et mise en place. Les pages 21 à 24 sont carrément une mise en contexte des évènements du récit. La lyre de D'Annunzio résonne ici et là, et l'on se rend compte qu'il n'est pas un grand poète pour rien. Mais ses rêveries révolutionnaires, dans l'atmosphère enflammée de ces lendemains de guerre (déçus pour l'Italie, mais pleins d'espoir pour les prolétaires soviétiques et allemands), sont parfois noyées dans les logorrhées qui accompagnent toute révolution (pages 26-27), ou enclines à d'étranges alliances, mêlant dans la même page (27) les fascistes de Mussolini, et les soviétiques contactés par l'entremise de Chichérine. Les notations culturelles sont enrichies par des références à Dada et au Yoga.

Beaux et fragiles (quoique passablement armés pour la survie), les deux héros marquent les moments de détente et de respiration dans le contexte de ces déchaînements de violence utopisants.

Surtout, la recherche graphique est fort intéressante. Le début et la fin de l'album ont un côté palindromique: le graphisme des scènes de violence évolue en une page d'un style à un autre, et dans le sens inverse à la fin. On part d'un trait raide, caricatural, anguleux et largement souligné de taches d'encre noire, mettant en valeur les rangées de dents sur des mâchoires carrées, des yeux vides ou fixes (comme dans les affiches underground soixante-huitardes US et françaises), vers un trait progressivement plus souple, plus réaliste.

Mais le dessin ne se résout pas au réalisme vrai. Les distorsions de perspective sont légion, les lignes droites ondulent légèrement (escaliers, fenêtres), et, à rebours d'une recherche de la 3D, la 2D est puissamment soulignée, par exemple dans le dialogue entre les deux amoureux (page 9).

La dernière page entremêle les deux thèmes : amour et violence. En dépit de l'enracinement du récit dans une forte réalité historique, on sent ici le conte moral et le désabusement sur l'impossibilité des hommes à profiter des fenêtres qui leur sont ouvertes sur l'avenir, pour leur préférer d'absurdes et mécaniques entre-déchirements.

Composite et intéressant.
khorsabad
7
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le 18 sept. 2011

Critique lue 142 fois

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khorsabad

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