Paris 2119
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Paris 2119

BD franco-belge de Zep et Dominique Bertail (2019)

Chronique K.Dickienne fascinante paranoïaque et optimiste

Très joli livre chez un éditeur, Rue de Sèvres, qui soigne ses productions. Une biblio des auteurs est présente en fin d’album et la citation de quatrième reflète parfaitement l’intrigue… au contraire de la couverture, plutôt réussie mais complètement à côté du sujet. Enfin bon, l’objet d’une couverture est d’attirer le lecteur et sur ce plan c’est efficace, la technique de Bertail faisant des étincelles. Le titre en revanche me laisse sans voix, je croyais que seuls les séries Z SF des années 70 utilisaient encore cela… pourquoi ne pas l’avoir tout simplement appelé Transcore? Une version luxe est éditée, avec un cahier graphique de 8 pages et une colorisation différente de l’album « normal », au lavis bleu habituelle de Bertail.


En 2119 l’humanité a tenté de solutionner la surpopulation et le problème climatique par l’invention de la téléportation. Désormais chacun peut se déplacer instantanément n’importe où sur Terre. Tristan, lui est un nostalgique du XXI° siècle et se méfie de Transcore. Lorsqu’il est témoin d’un meurtre la réalité de son monde semble se dérober sous ses pieds…


J’ai découvert Dominique Bertail sur Ghost Money, sa formidable série d’anticipation avec Thierry Smolderen (déjà au scénario de la fabuleuse série Gipsy avec Marini). J’y avait beaucoup aimé son trait, alliance d’hyperprécision SF et d’artisanat parfois tremblotant. Surtout sa technique de colorisation en lavis bleuté donne une atmosphère unique à ses planches, d’un professionnalisme redoutable. Sur cette dernière on retrouvait également comme point commun avec Paris 2119 l’esprit de l’Anticipation: la transposition de thèmes hyper-actuels dans un futur pas si éloigné et qui laisse loin le romantisme du Space-Opera. Comme sur les albums de Fred Duval on a affaire à un monde à la fois utopique (par les formidables outils technologiques utilisés aussi quotidiennement que nos smartphones ou enceintes Bluetooth) et dystopique dans la situation catastrophique d’Etats policiers utilisant les réseaux omniprésents pour maintenir un ordre social où les laissés pour compte pourrissent dans les bas-fonds des Cités alors que la situation climatique est apocalyptique.


L’intrigue est assez proche de celle de Klon que j’ai chroniqué l’an dernier, dans une filiation K.Dickienne évidente. La grande difficulté de la SF est qu’elle pose souvent de passionnants pitch sans savoir les résoudre. C’était un peu le problème de Klon, que réussit à éviter le scénario de Zep que je n’attendais pas à ce niveau de finesse. On retrouve dans Paris 2119 la subtilité de l’approche de Minority Report: proposer autant une intrigue paranoïaque rondement menée qu’un univers formidablement décrit et poussé. Le nombre de détails et éléments de contexte donnent véritablement corps à ce monde réaliste en s’appuyant sur un paysage parisien corrigé par le siècle mais très reconnaissable et qui aide à rapprocher ce temps du notre. Je dirais que c’est Bilal qui a ces dernières années présenté le plus de propositions de ce type mais avec ses mêmes autour du terrorisme que l’on ne retrouve pas ici. Zep a l’intelligence de se concentrer sur son unique sujet en se focalisant sur son personnage principal, très réussi dans son archétype. Cela grâce au trait de Bertail qui se passionne pour les designs futuristes, costumes et personnages toujours très différents.


C’est l’autre force de cet album, le design. L’élégance des concepts, dans un thème littéraire qui pousse au crime du mauvais goût, est permanente et contrairement à Klon donc qui virait par moments dans le kitsch, c’est bien le dessinateur qui donne vie à ces rues et couloirs de métro. On se passionne comme jamais à parcourir ces endroits connus et habillés à la mode de 2119, à transposer nos visions de 2019 dans cette extrapolation fascinante pour qui aime la Science-fiction. Tous les éléments visuels ne sont pas expliqués, laissant un peu de poésie graphique agrémentée de quelques citations (la casquette du chevaucheur d’Arzach).


Tout se lit avec grande facilité, malgré quelques rebondissements exactement placés dans le déroulé et les quelques séquences d’action sont très pêchues, tout cela étant la marque de deux auteurs en maîtrise totale de leur art. Et si la chute fera débat je la trouve personnellement très réussie, à la fois intelligente, logique et pleine d’espoir (… avec encore, une citation à Blade Runner cette fois). Paris 2119 est au final une vraie réussite que je n’attendais pas et qui me donne bien envie d’aller rattraper mon retard sur les albums de Zep-scénariste. Mon premier coup de cœur de ce début d’année, qui frôle les cinq Calvin!


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https://etagereimaginaire.wordpress.com/2019/02/06/paris-2119/

Créée

le 6 févr. 2019

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