Si tu ne blesses personne, fais ce que tu veux. - Doreen Valiente

Ce tome fait suite à Black Magick - Tome 01: Réveil (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 11, initialement parus en 2017/2018, écrits par Greg Rucka, dessinés, encrés et mis en couleurs par Nicola Scott, avec l'aide de Chiara Arena pour la mise en couleurs. Il comprend également les couvertures originales réalisées par Nicola Scott, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Liam Sharp, Michael Lark, Jenny Frison, Cliff Chiang, Tula Lotay et Leandro Fernández.


Il y a de cela 20 ans, Rowan Black soufflait les bougies de son gâteau d'anniversaire pour ses 13 ans, en compagnie de ses copines. En découpant le gâteau dans la cuisine, elle exprimait son regret à sa mère, de ne pas pouvoir parler de la cérémonie du soir même. Le soir dans la voiture, sa grand-mère lui recommande de se souvenir du Rede, Rowan demande à sa mère comment ça va faire, ce qu'elle va ressentir lors de la cérémonie. Sa mère lui répond que c'est comme si elle ne pouvait pas voir les couleurs, et que quand elle ouvre enfin les yeux avec cette capacité, elle découvre un plein arc-en-ciel. Arrivée au milieu des bois, elles rejoignent 6 personnes sur un îlet au milieu d'une petite rivière. Les paroles consacrées sont dites par Mère Ng, assistée par Mère Wambuzi, et les gestes rituels sont accomplis. Nue, Rowan Black est plongée dans l'eau et elle a la révélation de toutes ses vies antérieures.


Au temps présent, Stepan Hans se livre à une activité de fossoyeur en déblayant la terre sur une tombe, puis ouvrant le cercueil en faisant levier avec la pelle. Il défait les points de suture du torse de cadavre et y découvre des résidus minuscules émettant une phosphorescence verte. Le lendemain au commissariat de Portsmouth, deux inspecteurs échangent des piques, pendant que Rowan Black passe un appel personnel auprès d'Alexandra Grey, avec son portable. Elle revient à son bureau en face de son partenaire Morgan Chaffey, et elle fait tomber par mégarde un briquet à essence frappé du sigle du marteau. Chaffey lui propose de sortir pour interviewer les personnes qui connaissaient Bruce Dundridge, le noyé retrouvé dans le port, avec la main tranchée au niveau du poignet. Rowan Black effectue une recherche aux archives avant. Puis dans la voiture, il est visible que les 2 inspecteurs ne se parlent pas, qu'il y a une tension entre eux. Les dernières personnes ayant connu Dunridge n'ont pas grand-chose à leur dire, même s'ils se font menacer d'une arme à feu par le nouveau locataire de son appartement. En fin de journée, Rowan Black rentre chez elle, et elle charge son badge et les balles de son revolver, avec un sort magique.


Le premier tome avait séduit le lecteur pour la qualité des pages réalisées par Nicola Scott, et c'est un vrai plaisir que de la retrouver en pleine forme pour ces 6 nouveaux épisodes. Elle a conservé la mise en couleurs sur la base de nuances de gris. Les seules touches de couleurs apparaissent quand il y a dégagement ou utilisation d'une énergie magique. Ainsi le lecteur identifie immédiatement ces manifestations surnaturelles, et dans le même temps la magie générant des couleurs joue le rôle de métaphore de son effet enchanteur sur la grisaille ou l'ordinaire du quotidien. Ces nuances de gris sont appliquées comme des lavis très précis, apportant des textures aux formes, des ombrages, et rehaussant leur relief, de manière douce. Le lecteur reste épaté par la manière dont leur modulation rend compte du feuillage des arbres et des arbustes, de la granulosité de la terre, de l'écoulement d'un cours d'eau, de la souplesse d'un tissu, de la glissance de la neige, de la rugosité des briques, du soyeux d'un pelage, etc. L'utilisation restreinte des couleurs est d'autant plus impressionnante qu'il ne s'agit pas systématiquement d'effets pyrotechniques, mais qu'il peut aussi s'agit d'un petit détail comme la flamme d'une bougie.


L'investissement de Nicola Scott s'observe également dans les décors qui sont représentés avec soin et minutie. Le lecteur laisse son regard errer sur la façade du bâtiment en face du commissariat quand Rowan Back et Morgan Chaffey se trouvent sur le toit, sur l'aménagement de la rue quand les mêmes regardent les entrées et sorties au Pig Whistle Tavern, sur l'incroyable représentation en plongée d'un mur extérieur de la demeure de Rowan Black, ou encore sur la rampe de desserte pour ambulance de l'hôpital Willowbreak. Les intérieurs sont décrits avec le même niveau détail, et la même intelligence dans leur aménagement : la décoration intérieure très féminine et confortable de la cuisine de la mère de Rowan, les meubles très fonctionnels du grand bureau du commissariat, les étagères de rangement vieillottes des archives du commissariat, la table basse, le tapis aux riches motifs et leur fauteuil au revêtement élimé du coin de relation de Rowan, les accessoires du grenier où Alexandra Grey se livre à la divination, les différentes pièces de la demeure de Rowan au fur et à mesure que Laurent Leveque les découvre, les couloirs aseptisés de l'hôpital. Chaque endroit porte les marques de celui qui y vit ou de ceux qui l'ont aménagé, de la fonction qu'il assure, permettant au lecteur de s'y projeter, mais aussi de relever des détails révélateurs sur la personnalité de son occupant.


Le lecteur se fait également un plaisir de regarder les acteurs évoluer devant lui, avec un jeu naturaliste qui n'exclut pas une case un peu plus posée de temps à autre, par exemple Rowan Black sur sa moto, ou l'ennemie en train de tenir un nourrisson dans ses bras. Le lecteur retrouve les personnages avec leur apparence du premier tome, montrant des adultes dont le langage corporel atteste qu'ils disposent déjà d'une expérience de la vie, et qu'ils sont traversés par des émotions complexes. En particulier il regarde Laurent Leveque avancer prudemment dans la demeure de Rowan Black ne sachant pas ce qu'il va trouver, mais sans pour autant prendre des poses d'agent des services spéciaux, prêt à défourailler au moindre bruit suspect. La dessinatrice met en œuvre un jeu d'acteurs particulièrement subtil et parlant lorsqu'Alexandra Grey décide de prendre contact avec Laurent Leveque pour lui donner un certain nombre d'information afin de prouver la bonne foi de Rowan Black. Le lecteur voit la séduction irradier du langage corporel d'Alexandra, en même temps qu'il voit les gestes beaucoup plus raides de Laurent, ayant très bien compris le jeu de son interlocutrice et hôtesse.


Il est possible que le lecteur eût été moins convaincu par l'histoire des 5 premiers épisodes. Greg Rucka avait établi que Rowan Black fait partie d'un coven de sorcières adeptes de la foi Wicca, mais sans trop s'aventurer sur le terrain desdites croyances et convictions. En outre l'usage de la magie semblait bien pratique, pas vraiment raccord avec l'environnement très réaliste de la série, et reposant sur une lutte du bien contre le mal. Le lecteur retrouve cette même utilisation de la Wicca comme un artifice narratif sans beaucoup d'épaisseur, même si le Rede wiccan établi par Doreen Valiente (1922-1999) est bien cité : Si tu ne blesses personne, fais ce que tu veux. En outre, un personnage incarne le mal au premier degré, une jeune fille à la bouche cousue et aux yeux maléfiques, tirant le récit sur le terrain de la lutte basique du Bien contre le Mal. Mais, dans le même temps, le scénariste développe l'histoire personnelle de Rowan Black, avec ce premier épisode qui montre les conséquences de son rite d'initiation, de la révélation de ses vies antérieures, ce qui provoque un traumatisme durable. Par ailleurs, il met en scène les complexités de la relation entre les coéquipiers que sont Rowan Black et Morgan Chaffey, les tensions existant entre les 3 représentants de l'ordre Aira (Stepan Hans, Laurent Leveque, Anne-Marie) qui ne sont pas d'accord sur la stratégie à adopter, les sous-entendus dans les questions des inspecteurs Nate Bellowes & Fernando Prestes, de l'Inspection Générale. De ce point de vue, les relations entre les personnages sont bien de nature adulte, avec parfois des sous-entendus d'ordre sexuel, sur l'homosexualité supposée de Rowan Black, ou un inspecteur touchant la citrouille d'une collègue au bureau.


Dans cette deuxième partie de l'Éveil, Greg Rucka peut également s'appuyer sur les fondations qu'il a posées dans le premier tome pour avancer un plus vite dans son intrigue. Il y a donc plusieurs manifestations de cette sorcière maléfique, avec une ou deux autres. Les représentants de l'organisation Aira (des chasseurs de sorcières) ont localisé Rowan Black et disposent de preuves d'acte de sorcellerie. Rowan Black et Alexandra Grey ont conscience de la présence desdits membres. Les enjeux pour les différentes factions apparaissent donc clairement et Greg Rucka commence à montrer que les personnages sont plus intelligents qu'il n'y paraît. Du coup, les allégeances ne sont pas figées et le bon sens a encore des chances de prévaloir malgré la force des traditions. Le lecteur sent bien que les membres d'Aira ne sont pas inaccessibles à la raison, et que la personnalité et l'histoire personnelle de Rowan Black a une incidence directe sur son comportement et sur la façon dont les choses peuvent évoluer. Le scénariste ne se contente donc pas de tirer des grosses ficelles et d'utiliser des conventions de genre. Il sait faire exister ses personnages de sorte à ce que l'intrigue dépende d'eux de manière organique.


Ce deuxième tome confirme le plaisir visuel à lire ces pages peaufinées par Nicola Scott, donna vie aux personnages, les faisant évoluer dans des lieux soigneusement construits et décrits. Greg Rucka insuffle lui aussi de la vie dans ses personnages et peut commencer à s'aventurer plus loin dans son intrigue, ce qui permet au lecteur de constater qu'elle s'annonce plus sophistiquée que ne le laissait le supposer le premier tome.

Presence
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le 14 mars 2020

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