Il faut d’abord expliquer l’origine de cet album : Joël Alessandra, fils de pieds-noirs né à Marseille en 1967, a l’occasion à l’automne 2014 de se rendre à Constantine, ville dont étaient originaires les membres sa famille, notamment son père et son grand-père. Cela se passe peu de temps après l’assassinat d’Hervé Gourdel en septembre 2014, il est suivi par un policier mais se déplace librement et rencontre différents interlocuteurs, qui vont lui permettre de découvrir la ville, mais aussi le passé de sa famille, notamment à travers les traces qu’ils y avaient laissé car il y avait parmi eux des architectes. Le parcours classique d’un homme qui a besoin de clefs, pour comprendre ses parents, et donc pour mieux savoir qui il est. Un homme qui a d’un côté des souvenirs de sa famille, et de l’autre l’image très négative des pieds-noirs.


Alessandra nous raconte ainsi dans cet album une partie de son passé, mais surtout ses interrogations au sujet de l’histoire de sa famille, avec la question angoissante de savoir quel type de pieds-noirs ses parents avaient été : des gens respectueux des Arabes ou les racistes tels qu’il y en eut pas mal ? Un retour aux sources, donc, avec l’inquiétude de ce qu’il pourrait apprendre sur sa famille, sur ce passé familial sous-jacent jusque là inconnu, car ses parents, oncles, tantes, étaient tous morts et ne pouvaient pas répondre à ses questions.


L’album, au-delà d’un récit de voyage au présent et d’une immersion dans le passé de la famille au gré de rencontres, présente aussi différentes anecdotes, plus ou moins intéressantes. On a par exemple deux pages sur Enrico Macias, qui semble encore apprécié à Constantine même si le pouvoir refuse de le voir se produire là-bas du fait de positions trop favorables à Israël ! La bd contient des photos d’époque, évoque la nourriture locale, la musique, la langue pied-noir, un passé qui se tient dans une culture, avec la volonté d’Alessandra d’être un passeur d’histoire et d’identité pour ses enfants.


L’album, magnifique, restitue la beauté de Constantine, ville à la topographie particulière, imprégnée d’histoire, dont il reste des traces des dominations successives; mais il relate aussi l’accueil et la chaleur de ses habitants, qui reçoivent très bien Alessandra.


Une réserve toutefois : l’album est parsemé d’informations historiques parfois approximatives, du fait de leur caractère excessivement synthétique. C’est regrettable, mais il faut les nuancer : il ne s’agit pas d’un récit historique mais seulement d’un parcours familial (qui s’ancre bien sûr dans une trame historique). L’album est d’ailleurs préfacé par l’incontournable Benjamin Stora, originaire de Constantine. L’historien présente le contexte de ce qui nous est raconté, car il est question ici de pieds-noirs d’origine italienne, apparemment considérés comme des moins que rien à leur arrivée, peut-être même en dessous des Arabes, d’après ce que constate Alessandra.


Au final, ce n’est pas une bd sur les pieds-noirs, mais sur une famille de pieds-noirs, ce qui est différent, l’auteur ayant l’honnêteté de ne pas généraliser, de ne pas juger, d’essayer de reconstituer des bribes de l’histoire de sa famille, dont le comportement fut semble-t-il plus honorable qu’il e pouvait le craindre ! Un album et une histoire familiale, ainsi qu’une ville, qu’ l’on découvre avec beaucoup de plaisir.

socrate
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Tranches de passé, Merci beau papa !, One shot BD et La guerre d'Algérie en BD

Créée

le 14 avr. 2016

Critique lue 399 fois

13 j'aime

9 commentaires

socrate

Écrit par

Critique lue 399 fois

13
9

D'autres avis sur Petit-fils d'Algérie

Petit-fils d'Algérie
ChristineDeschamps
5

Critique de Petit-fils d'Algérie par Christine Deschamps

Une balade un peu mélancolique dans Constantine, à la recherche de racines familiales. Du bon et du moins fun, là-dedans : le bon, ce sont ces dessins faits sur place dans des carnets parfois...

le 25 sept. 2017

1 j'aime

Petit-fils d'Algérie
Matthieu_Marsan-Bach
7

Les Architectures du Voyage

Joël Alessandra est né à Marseille. C’est dans les ruelles typiques du quartier du panier que s’ouvre Petit-Fils d’Algérie sur de magnifiques aquarelles de murs ocres denses sous un ciel bleu...

le 12 janv. 2016

1 j'aime

1

Du même critique

Ma liberté de penser
socrate
1

Ma liberté de tancer

Cette chanson est honteuse, un vrai scandale : il est absolument inadmissible et indécent de tenir de tels propos quand on gagne plusieurs millions d'euros par an, alors que des tas de gens galèrent...

le 11 avr. 2012

170 j'aime

76

La Ligne rouge
socrate
4

T’es rance, Malick ?

La ligne rouge, je trouve justement que Malick la franchit un peu trop souvent dans ce film, malgré d’incontestables qualités, que j’évoquerai tout d’abord. La mise en scène est formidable, la photo...

le 21 sept. 2013

134 j'aime

78

Ernest et Célestine
socrate
9

A dévorer à pleines dents !

Pour tout dire, je ne savais rien de ce film avant d’aller le voir, je craignais une histoire un peu gnangnan pour bambin à peine sorti du babillage. Bref, j’y allais surtout pour accompagner la...

le 10 janv. 2013

133 j'aime

22