Ce tome fait suite à DMZ tome 8 (épisodes 42 à 49) qu'il faut avoir lu avant pour comprendre l'état d'esprit de Matty Roth, même si les principaux faits sont rappelés. Il comprend les épisodes 50 à 54, initialement parus en 2010, écrits par Brian Wood, dessinés et encrés par Riccardo Burchielli, avec une mise en couleurs réalisée par Jeromy Cox, et des couvertures réalisées par John Paul Leon, à l'exception de l'épisode 50 qui a été dessiné et encré par Rebekah Isaacs, Fabio Mooon, Ryan Kelly, Burchielli, Philip Bond, John Paul Leon, et des illustrations en pleine page réalisées par Jim Lee (Matty + Zee), Lee Bermejo (Soames + The Ghosts), Eduardo Risso (Wilson), Dave Gibbons (Decade Later). Ces épisodes ont été réédités dans DMZ, Intégrale Tome 4 : qui contient les épisodes 45 à 59.


Épisode 50 : 6 histoires courtes. Matty Roth partage un taxi avec un individu venu de l'extérieur de la zone démilitarisée, représentant des intérêts privés et souhaitant acheter des immeubles. Ils l'emmènent à l'adresse qu'il souhaite voir, tout en lui expliquant comment fonctionnent les gangs. Un enfant dort avec son jouet bien serré contre lui : il ne se rend pas compte qu'il s'agit d'une bombe à fragmentation. Matty Roth a été invité par un riche propriétaire un peu âgé : il ne lui reste que quelques semaines ou mois à vivre et il souhaite confier ses œuvres d'art à Matty. Matty Roth a droit à une sortie à la campagne, les yeux bandés. Il va rencontrer le commandant Townes, dans un mobil home dans les bois pour une interview riche en informations, en particulier sur l'allégeance de Chicago à l'Armée des États Libres. Matty Roth est invité par Wilson pour déguster un met raffiné dans un de ses restaurants.


Il est de coutume dans les comics américain de considérer les numéros 50, 100, et d'autres comme des occasions de réaliser une histoire spéciale, et un épisode plus long. Brian Wood en profite pour raconter des histoires coutes s'attachant aux personnages principaux de la série, soit pour une anecdote (Zee sauve un enfant), soit pour un développement significatif (les révélations effectuées par le commandant Townes). Ce numéro anniversaire est donc également l'occasion de faire participer d'autres dessinateurs, pour que Burchielli puisse s'avancer pour les épisodes suivants. Rebeckah Isaacs réalise des planches dans un registre descriptif agréable à l'œil et détaillé, avec des expressions de visage un peu moqueuse pour le représentant des investisseurs. Fabio Moon apporte une touche un peu plus douce, tout à fait adaptée à cette histoire sans parole, avec un point de vue sur un enfant, montrant bien son incompréhension. Le lecteur retrouve ensuite Ryan Kelly le temps de 4 pages, dans un registre également descriptif, un peu moins ensoleillé que Isaacs, ce qui correspond bien à cette demeure peu éclairée pour protéger les toiles de maître, et pour montrer que l'hôte de Matty sait ses jours comptés. Suivent 8 pages en noir & blanc réalisées par Burchielli, permettant d'apprécier la qualité de ses cases sans l'apport de Cox, pour un résultat impeccable. Pour les 4 pages suivantes, John Paul Leon semble s'être retenu, pour rester ans un registre graphique où ses idiosyncrasies ne sont pas apparentes. Les dessins en pleine page sont accompagnés d'un texte de Matty Roth évoquant le personnage évoqué, plus une sorte de rappel qu'une analyse très parlante. Même s'il n'est pas en mode superhéros, Jim Lee met trop en avant une forme d'héroïsme. Bermejo n'arrive pas à rendre compte de la personnalité de Soames et de ses équipiers. Le dessin de Kelly par Phillip Bond est sympathique, mais pas mémorable. Le dessin de Gibbons pour Decade Later est trop descriptif et manque d'un point de vue émotionnel. Le portrait de Wilson par Risso est savoureux à souhait.


Épisodes 51 à 54. Les informations à la radio indiquent que le vent continue à être favorable aux habitants de Manhattan, emmenant les retombées de l'explosion vers le large, évitant ainsi que l'île ne soit touchée. Celle-ci a entériné le fait que Parco Delgado soit qualifié de terroriste, : il reste cependant introuvable. Après la terrible erreur de jugement qu'il a commise, causant la mort de plusieurs civils, Matty Roth a choisi de s'isoler dans un quartier de Manhattan peu fréquenté du fait de sa dangerosité. Son seul lien avec le reste du monde est la radio qu'il écoute. Il sort brièvement pour aller récupérer des nouilles préparées dans une supérette pillée, et rentre rapidement. Alors qu'il les mange sur son échelle d'incendie, il il voit un individu passer en marchant dans la rue avec une pancarte sur laquelle est marqué Changer. Une bombe explose : le passant est pulvérisé. Deux hommes armés arrivent : des coups de feu sont échangés. Le seul survivant se fait sauter le caisson sous les yeux de Matty Roth qui n'a rien pu faire, même pas prendre une photo ou filmer car son appareil a refusé de fonctionner correctement.


Le lecteur sait qu'il peut compter sur le scénariste pour l'emmener là où il ne s'y attend pas : il lui suffit de se souvenir du dernier épisode du tome précédent, doublement étonnant. Il découvre la suite directe de ces 2 événements majeurs. Wood a choisi de développer les éléments de politique extérieure de la DMZ sous la forme de commentaires de journalistes radio, tout d'abord de Liberty News, radio officielle dont l'inclination politique est clairement établie, puis de la radio libre installée dans la DMZ qui suppute beaucoup sur les causes réelles de certains faits, sur les circonstances des faits, n'hésitant de temps à autre à s'aventurer sur le terrain de la conspiration. En alternance, le lecteur a également accès aux pensées de Matty, permettant ainsi de découvrir ses préoccupations prioritaires, ainsi que ses réactions émotionnelles aux événements, son état d'esprit. Il s'attend donc à suivre l'ex-journaliste devenu membre du cabinet du maire élu, et à voir ses réactions en errant dans la zone démilitarisée, et en regardant ses habitants. Bien évidemment, l'intrigue prend une direction différente : des événements échappant à Roth continuent de survenir avec des conséquences directes pour lui. Il découvre le cadavre de deux militaires et récupère leur plaque d'identification pour les ramener. Il est confronté à un membre de la famille de Parco Delgado, une personne pas commode avec un objectif très clair. Il se retrouve lui-même face à un membre de sa propre famille, ce qui ne se passe jamais bien.


Riccardo Burchielli est de retour pour dessiner ces 4 épisodes. Le lecteur prend son temps pour savourer les différents décors, intérieurs et extérieurs de Manhattan : un grand appartement vide de meuble sauf pour un canapé rouge, les murs du quartier où se trouve Matty Roth, recouverts de graffitis, les larges artères totalement désertées, avec des carcasses de voitures et des nids de poule, un diner à la vitrine défoncée et aux tabourets encore parfaitement alignés et rivés au sol, un cour intérieure avec la carcasse inattendue d'un engin militaire, un toiture terrasse elle aussi graffitée, des bâtiments dont il ne reste que la structure, les façades ayant été détruites, des devantures éventrées colmatés avec des planches et des cartons, la fontaine Bethesda de Central Park isolée au milieu d'un terrain défoncé par les bombes. L'artiste sait donner la sensation de se trouver dans ce Manhattan abîmé et défiguré par la guerre civile.


Les traits de contour et les aplats de noir continuent d'être irréguliers ce qui confère une impression d'usure générée par des conditions de vie difficiles et dures. Le lecteur peut le voir sur les visages des individus qui sont marqués par les combats ou l'inquiétude, dans leurs vêtements pas repassés et parfois pas assortis, dans les expressions de visage. Il sourit en découvrant le portrait du membre de la famille Delgado, très expressif, qui en dit long sur sa personnalité. Il voit aussi que Burchielli sait manier l'exagération visuelle avec pertinence pour augmenter l'impact d'une case, d'une action. Ainsi dans l'épisode 51, une case est en noir & blanc, pour obtenir un contraste choquant avec le rouge du sang projeté par la balle tirée dans le crâne. L'artiste tire le meilleur parti possible d'un dessin en pleine page pour l'effet choc de ce que découvre le lecteur, mais aussi d'avoir un dessin en hauteur pour accentuer l'exiguïté de la cour d'immeubles. Le dessinateur place le lecteur au milieu d'un groupe de soldats armés de fusil, qui se font tirer dessus par des hélicoptères, pour générer la tension de prendre une balle perdue. La narration se fait silencieuse quand Roth est pris en chasse par deux chiens sauvages, pour une course-poursuite haletante. Il allonge la perspective d'un hangar pour souligner le nombre de cercueils recouverts d'un drapeau américain qui y sont stockés.


À la fin de l'épisode 49, le lecteur savait bien que les choses n'allaient pas pouvoir continuer comme avant, et que le temps était venu pour Matty Roth de réfléchir à son positionnement. Après les histoires courtes de l'épisode 50 très bien réalisées, le lecteur est content de reprendre le fil de l'intrigue principale, avec la narration visuelle toujours impeccable, transcrivant la sensation de danger éprouvée par les habitants de la zone démilitarisée, les dommages infligés aux bâtiments et aux infrastructures, la précarité des conditions de vie. En revanche, il pensait trouver un chapitre plus introspectif. La réflexion sur l'engagement et ses conséquences a bien lieu, mais elle s'accompagne de nouveaux événements qui n'ont rien d'anecdotiques, faisant avancer le récit de manière significatives.

Presence
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le 18 sept. 2020

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