Un régime à en perdre le Nord
Avec son allure (et son format) de BD indépendante typée nouvelle-vague, Pyongyang et sa couverture pour le moins intrigante semble assez expérimentale. Alors qu'au fond, c'est une transposition du documentaire en bande-dessinée, le tout avec un humour grinçant. Et une certaine légèreté il est vrai.
Pas vraiment de fil conducteur ou de véritable scénario, on suit plutôt le modèle du journal intime, avec des anecdotes éparses au fil du périple de l'auteur en Corée du Nord. L'occasion d'en apprendre pas mal sur le régime, de rire un peu de certaines différences "culturelles" et de constater encore une fois jusqu'où peut aller l'esprit humain pour conquérir le pouvoir, et le conserver. En soi, c'est presque un modèle.
Et je conseille vraiment cette oeuvre à tout un chacun, parce qu'elle permet une prise de conscience "concrète" de ce qu'est un régime totalitaire, au XXIème siècle, et que ça a le mérite d'être divertissant. J'y vois toutefois trois bémols :
1) C'est moche quand même. Je ne connais pas l'auteur, mais pour quelqu'un qui travaille dans l'animation , c'est quand même dommage que son héros soit aussi sommairement laid, et que la plupart des personnages semblent tirés d'un blog BD bas-de-gamme. La cerise sur le gâteau, c'est quand l'auteur avoue sur une planche avoir la flemme de dessiner certains présents offerts au grand leader. T'as le droit coco, mais la remarque est un peu déplacée dans une bande-dessinée quand même.
2) J'ai toujours un peu du mal avec les reportages orientés, et en l’occurrence, il l'est totalement. Guy semble parfois ne chercher qu'à semer le désordre dans le pays, avec ses terribles actes anti-système, du genre essayer de faire infiltrer ses guides nord-coréens au casino. Oui bon, c'est parfois rigolo, mais justement, on dirait qu'il cherchait surtout à faire de l'humour, quitte à forcer un peu, et il détestait le pays avant même son arrivée. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est communicatif puisqu'il ne manque jamais une occasion de glisser une remarque facile (la liberté c'est bien, les dictateurs c'est mal, tout ça). Et bon, c'est un peu facile de taper sur le Grand Leader Nord-Coréen, le culte à son honneur et tout ce qui est lié à sa personne est totalement gerbant et pathétique, mais j'aurais pourtant souhaité un chouïa plus de nuancement dans ses propos. Ça me rappelle la propagande anti-soviétique durant la guerre froide, qui faisait presque oublier qu'il y avait des points positifs à ce régime : frais de scolarité et d'hôpitaux gratuits, pas de chômage, par exemple. Alors, je ne dis pas qu'il y a forcément des points positifs au régime nord-coréen, au fond, ce pays est tellement nébuleux que je n'en ai pas la moindre idée, et qu'entre la propagande pro-régime ridicule que tente de diffuser le pays, et la dénonciation de tous les crimes plus ou moins possibles par les autres pays du monde, il est difficile de vraiment savoir s'il y a du positif. Peut-être faudra-t-il attendre l'éclatement du régime pour le savoir, pour comprendre ce que ressentait véritablement la population ? (sûrement beaucoup de mal, mais bon, à quel point, de quelle manière ?)
3) En fait, j'avais déjà vu un documentaire sur la question, paru 3 ans avant, abordé lui aussi avec un certain humour, et dans lequel les intervenants cherchaient eux aussi à voir un peu tout pour approcher cette misère dont on parle tant en Occident, et que le régime s'évertue à cacher. Les mêmes remarques grinçantes, et le même étonnement vis-à-vis des pratiques absurdes du régime. Du coup, bah ça m'a moins marqué que je ne l'aurais souhaité, c'est dommage. Voici le lien pour ceux que ça intéresse, c'est une émission belge : http://www.dailymotion.com/video/x1nrxn_striptease-coree-du-nord-partie-1_travel
Donc voilà, c'est drôle, instructif et jamais ennuyeux, mais j'aurais voulu un regard légèrement plus neutre. Ca me fait penser à Euronews, leurs reportages "No Comment" sont souvent les plus parlants. Parce que face à certaines aberrations humaines, il n'y a tout simplement pas besoin de commentaires. Surtout quand ceux-ci sont aussi "faciles".
